Sambre
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Oscar du meilleur documentaire en 2011 pour Un coupable idéal, le réalisateur français est passé à la fiction avec succès, en adaptant des faits divers marquants sur le petit écran. De Sambre à Jeux de pouvoir en passant par Laëtitia, Jean-Xavier de Lestrade incarne aujourd'hui le "true crime" à la française. Rencontre à Séries Mania.

Vous venez du documentaire. C'est un atout pour faire du "true crime" en fiction ?
Jean-Xavier de Lestrade :  Le documentaire, c'est l'école de l'humilité, de la patience, de l'observation et du non-faire. Il faut rester en retrait. Tout l'inverse de la fiction, qui est quelque chose de plus normé finalement, avec des comédiens, des décors, des dialogues. Tout est programmé et justement, j'essaye d'y mettre du documentaire en ce sens où j'essaye d'insuffler de la vie au fictif, en cassant ce qui est trop organisé, trop calibré par la réalisation de fiction. J'utilise les accidents du quotidien, comme je les appelle. Ça peut être l'humeur du comédien ce jour-là. Où un élément extérieur qui s'invite. Je crois que quand je tourne une fiction, je suis pris entre deux désirs : celui que tout se passe comme prévu, mais aussi - peut-être encore plus fort bien qu'inconscient - que tout ne se passe pas comme prévu ! Car de l'imprévu naissent des choses qui peuvent nous surprendre et on n'attend que ça en fait !

Lors du festival Séries Mania, vous avez tenu une conférence sur le rapport entre fiction et documentaire. Ce sont donc deux genres que vous essayez de réconcilier ?
Dans ma démarche de réalisateur, j'ai toujours mis beaucoup de fiction dans le documentaire et beaucoup de documentaire dans la fiction, avec cette idée de représenter au mieux la réalité. Qu'est-ce qui fait que ça va toucher, émouvoir, interroger ou scandaliser les gens ? Je crois que les deux agissent différemment sur le public, mais avec la même force au bout du compte.

Qu'est-ce qui marche le mieux pour transmettre le réel ? La fiction ou le documentaire ?
Il n'y pas de hiérarchie, on peut transmettre avec les deux. Le documentaire s'impose de lui-même auprès du public. On n'interroge pas la crédibilité du réel. Le spectateur prend ce qui passe, peut être touché, mais ne peut pas vraiment s'identifier aux personnages, puisqu'ils sont dans le réel. La fiction permet de toucher le public à un autre endroit, car le spectateur peut plus facilement se projeter dans des personnages incarnés par les comédiens. Ça permet de déployer l'imaginaire. Je dirais à l'arrivée que le documentaire a tendance à scandaliser, à révolter, tandis que la fiction va bouleverser. Mais toutes deux déposent des traces durables chez les gens.

Que ce soit Laëtitia ou Sambre, et même Jeux d'Influence, pourquoi le réel vous inspire autant ?
C'est possiblement ancré dans mon parcours, qui m'a fait passer par des études de droit, de sciences politiques... Il y a en moi ce besoin d'être citoyen au sens étymologique, de participer à la cité. J'ai la chance de faire des séries qui sont vues par des millions de gens et j'y vois une forme de responsabilité. C'est pour ça que je veux raconter des histoires qui nous racontent, nous, en tant que société, en tant qu'êtres humains. Je vais souvent dans le réel pour puiser ces histoires parce que c'est ce qui nous touche, c'est ce qui nous remue.

Qu'est-ce qui fait que vous arrivez si bien à saisir le réel en filmant de la fiction ?
J'aime m'adapter et faire jaillir le réel au moment où l'on tourne. Je suis flexible comme ça. C'est presque une philosophie de réalisateur : voilà ce que le comédien m'offre, ce jour-là et si je ne m'en sers pas, c'est un loupé ! Je n'oublie jamais qu'avant de filmer des échanges de dialogues de comédiens dans un décor, je filme la rencontre de deux êtres humains, qui arrivent chargés de ce qu'ils sont, de leur propre histoire. Quand on est attentif à ça, ça aide dans la direction d'acteurs, pour tirer d'eux des choses qu'eux-mêmes ignorent parfois.

Laëtitia France TV
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Vous faites aussi très attention à mettre les victimes au centre de vos histoires...
Je suis très attaché aux gens qui n'ont pas parole. Pas parce qu'ils n'ont rien à dire, mais parce qu'ils ne sont pas écoutés et parce qu'ils ne peuvent pas parler. En tout cas, leur parole, on ne l'entend pas. Se mettre à l'écoute de ces gens-là, de ces paroles-là, c'est une position dans laquelle je me sens bien. C'est aussi un endroit où le cinéma et la série ont toute leur place. Pour Sambre, il était évident qu'il fallait presque obliger le spectateur à écouter ce que ces victimes avaient à dire.

Les succès de vos séries sont corrélés à une certaine fascination de la société pour les faits divers. Vous la comprenez ?
C'est toute l'histoire du journalisme qui est née avec les faits divers. Les premières gazettes racontaient des faits divers. Donc cette fascination existe depuis qu'on raconte des histoires ! Ce qui est intéressant, c'est que certains faits divers ont ce talent de raconter qui nous sommes. Comment on se comporte. Comme une photo de la société à un moment précis. Ce que Ivan Jablonka avait réussi brillamment avec son livre Laëtitia (qui a inspiré la série). Il avait pris l'affaire par le prisme d'un historien sociologue, traitant ce meurtre comme un fait divers du sièle dernier, en se demandant : qu'est-ce que ça révèle de nous ? Quand la fiction s'en empare, on peut s'adresser à des millions de gens et faire bouger des lignes, certaines idées préconçues. Autant, j'aime que le réel nourrisse la fiction, mais quand la fiction fonctionne bien, c'est elle qui nourrit le réel.

Jeux d'influence
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Vous faites attention à ne pas glorifier au passage les tueurs qui jalonnent vos séries, comme Tony Meilhon dans Laëtitia ou Enzo (Dino Scala) dans Sambre ?
Oui... tout en ne condamnant pas les personnages. Il ne faut surtout pas être trop manichéen sans tomber dans la fascination du criminel. Ce qui est très souvent le cas et qui se comprend, parce qu'on est fasciné par ces gens qui ont osé transgresser la loi et faire quelque chose qu'on ne fera jamais en tant que simple mortel. De la fascination à la glorification, il y a un pas qu'il ne faut pas franchir. Et pour ça, il suffit de le montrer tel qu'il est. Dans sa banalité. Dans tout ce qu'il a de plus pathétique. Dans Sambre, comme dans Laëtitia, on montre tout de suite celui qui a commis l'indicible. Ce n'est pas une enquête pour deviner le tueur avant l'épisode 6. On le sait tout de suite, parce que ça permet d'emblée de montrer au spectateur le criminel dans son quotidien, le plus banal possible. Un petit barbecue avec des saucisses, le carnaval avec ses enfants... Quelque chose de très humain, d'une banalité confondante qui empêche que ça devienne une figure mystique voire une forme de héros. Et en parallèle de ce quotidien ordinaire, on a le récit des victimes, d'une violence extrême. Les deux se confrontent et vont finir par s'associer, mais on a préparé le terrain en amont pour que le spectateur puisse faire la jonction dans sa tête entre le personnage du début et le criminel qu'il est à l'arrivée.

sambre enzo
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Vous écoutez les retours des véritables victimes qui sont représentées dans vos fictions ?
Oui, forcément. Il ne s'agit de leur faire plaisir, mais il faut faire bien attention de bien traiter ces victimes, ce qui veut dire raconter la vérité. Parfois, la vérité peut être brutale, comme pour la sœur jumelle de Laetitia. Mais en même temps, on la doit à toutes les victimes, parce que c'est un socle solide sur lequel elles peuvent se reconstruire.

Inventer un fait divers pour imaginer de la fiction sans partir du réel, c'est quelque chose qui vous fait envie ?
Non. Je ne saurais pas faire Polar Park (la série Arte de 2023). Il y a trop d'histoires que le réel nous donne. Elles ont un talent unique dont il faut se servir ! Elles ont un impact très fort sur le public. Sambre a résonné de manière inouïe auprès du public, parce que quand on regarde Sambre, on regarde une histoire qui s'est vraiment passée.