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1995. Un matin du printemps, James Cameron se retrouve au volant de sa voiture, plongé dans ses pensées, et dans une humeur noire. Aussi noire que la "Black Tower" d'Universal, vers laquelle il est en route, prêt à saborder une démonstration de projet à laquelle il a été invité. C'est que Carolco Pictures et Gale Ann Hurd, qui partagent les droits d'adaptation de la saga Terminator, lui ont appris que Gary Goddard, le réalisateur des Maitres de l'univers (1987) avec Dolph Lundgren et créateur de l'attraction Conan pour le parc Universal, travaille depuis plusieurs mois sur une attraction Terminator 2 en 3D, comprenant un film court, dont le scénario est déjà écrit. Cameron est convié à une réunion pour valider le projet. Ou pas. Que quelqu'un, sans l'avoir consulté à la source, développe à sa place un projet Terminator a tout pour lui déplaire. Sa voiture garée dans le parking d'Universal, Cameron est accompagné au sous-sol de la tour noire, dans la salle de conférence. Ca va chauffer.Un nouveau chapitre"J'étais été très détendu jusqu'à ce moment là", se rappelle Gary Goddard, le directeur du projet. "J'avais dirigé très efficacement le développement, les concepts, storyboards, et l'écriture du scénario. J'avais fait deux pitches réussis pour Carolco et Gale Ann Hurd, qui partageaient alors les droits. Tous les deux m'avaient dit : 'ça a l'air super, mais qu'est ce que Cameron en pense ? il faut que ce soit validé par Cameron'. On l'avait donc appelé, et le moment était arrivé. Et pendant que je l'attendais, je me suis mis tout à coup à suer à grosses gouttes. J'ai réalisé que j'allais présenter mon projet au gars qui a créé la saga. J'allais pitcher T2 au réalisateur de T2 ! Et j'ai réalisé qu'on avait pris certaines libertés avec l'attraction et le court-métrage. Je me suis rendu compte qu'on n’était pas juste en train de rendre un hommage au film de Cameron, mais carrément en train d'en raconter un nouveau chapitre. Trois murs entiers étaient recouverts de storyboards. Ca faisait un an et demi qu'on travaillait dessus. J'étais en train de regarder les storyboards, en me demandant comment j'allais bien pouvoir tourner ça, quand Jim est entré".>>> L'histoire secrète de TerminatorOutre Gary Goddard, sont présents dans la salle Jay Stein, le PDG de la division parc d'attractions d'Universal Studios, Lew Wasserman, PDG d'Universal et Sid Sheinberg, l'homme qui a "découvert" Spielberg. Les présentations sont faites, des poignées de main échangées, et Goddard commence à pitcher l'attraction et le court-métrage, qui s'appelle T2-3D. "Le futur de 1 an et demi de travail repose sur l'heure qui suit et sur mon pitch", poursuit Goddard. "Je fais ma démonstration et, pendant 40 minutes, James Cameron reste assis, sans rien dire, immobile. Je termine, et le silence envahi la salle de conférence. On peut entendre une mouche voler. Jim est assis et ne décroche pas un mot. J'essaie de briser le silence, mais il me fait signe de me taire. Il se lève et s'approche des storyboards. Les regarde de plus près. J'essaie encore de parler mais il me fait signe de me taire à nouveau. Les choses deviennent vraiment très inconfortables. Il continue à regarder les storyboards, puis s'arrête vers certains dessins et me dit : 'Ceux là sont pas mal. Qui a dessiné ça ?' Je lui dis que c'est un excellent storyboardeur nommé Greg Pro. Il me répond 'C'est vrai. Il est bon'. Puis il se tourne lentement vers nous. Et nous lâche : 'OK, je suis venu ici avec la ferme intention de ne pas aimer ce que vous alliez me montrer. Je me disais "Qui sont ces gens ?" "Qu'est qu'ils connaissent à l'univers de Terminator ?! Pour qui se prend Universal, pour oser vouloir m'arracher ma création ?! Terminator n'est pas un spectacle de parc d'attraction !". Mais en réalité, c'est pas mal du tout. Vous avez bien saisi la mythologie, l'histoire est intéressante et l'idée est bonne. Je suis impressionné. Maintenant... ça ne veut pas dire que je ne peux pas faire beaucoup mieux que ça !'." La troisième dimensionL'histoire de T2-3D a en fait commencé deux ans plus tôt, quand Jay Stein a convoqué Goddard dans la tour noire pour lui suggérer de pitcher une attraction Terminator 2 (les droits d'adaptation du premier Terminator sont alors bloqués dans la faillite d’Orion Pictures). Stein pense à ce moment là à un show composé de cascades live pour remplacer l'attraction Conan, qui s'arrête bientôt.>>> L'histoire secrète de Terminator 2"Je suis rentré chez moi, j'ai sorti le laserdisc (c'était alors l'ère des laserdiscs) de son étagère, et je me suis mis à revoir le film en boucle, en essayant de trouver un angle", explique Goddard. "L'idée avec un ride de parc d'attraction est de capturer le coeur et le concept d'un film, la connexion émotionnelle que le public a au long métrage, le temps d'un spectacle de 15 minutes. Croyez-moi, ce n'est pas facile. Et très vite, je me suis dit qu'un show de cascades ne pourrait jamais rivaliser avec les scènes d'action de Terminator 2, que ca ne pourrait pas marcher". Pendant des semaines, Goddard tourne en rond, sans arriver à trouver une idée. "Deux jours avant mon rendez-vous suivant avec Jay Stein, j'étais assis dans un restaurant à prendre des notes, tard le soir. J'étais en panne d'inspiration et je me suis dit : qu'est-ce qui serait vraiment cool ? Et j'ai eu cette idée que l'on voit le T-1000 se transformer, sur un écran de cinéma, passer d'une masse de métal liquide à celle d'un policier, et puis que tout à coup, une fois qu'il a la forme d'un flic, sauter dans le public ! Pour que ca marche, il faudrait que le film soit en 3D. A partir de là, les vannes créatives se sont ouvertes. Je me suis mis à penser un show qui brouille la frontière entre le réel et l’irréel. Entre 3D et 4D. Qu'est ce qui est à l'écran ? Qu'est ce qui est dans le cinéma ? J'ai eu cette idée de voir Arnold sur sa moto qui tout à coup surgit de l'écran et se retrouve dans le public ! Deux jours plus tard, j'explique tout cela à Jay. Je lui dis 'oublie un show de cascades live. Je veux des acteurs réels, de la pyrotechnie, mais dans un cinéma', et je lui raconte les deux scènes que j'avais trouvées. J'ajoute 'on va mélanger des acteurs réels et un film en 3D'. Il me regarde, comme si j'étais fou, puis me dis de revenir avec une proposition dans ce sens, mais plus détaillée. C'est ce que j'ai fait, et au rendez-vous suivant, Universal nous a donné le feu vert pour développer le concept".Le troisième filmUn an et demi plus tard, dans la salle de conférence d'Universal, Cameron est non seulement intrigué mais franchement enthousiasmé, au point qu'il va s'impliquer dans le projet bien au delà de ce que Goddard avait imaginé. Cameron demande qui l'équipe envisage pour jouer le Terminator à l'écran. "Nous pensons utiliser un acteur qui a la carrure du Terminator", lui disent les exécutifs, "une espèce de Terminator de base". "Oubliez-ça !", répond Cameron. "Il n'y a qu'un seul Terminator, et c'est Arnold. Il nous faut donc convaincre Arnold de participer. Et pendant qu'on y est, autant convaincre aussi Linda (Hamilton), Eddie (Furlong) et Robert (Patrick) de reprendre leur rôle ! Et puis autant que je réalise le court-métrage moi aussi !"."Avec la participation de Cameron, T2-3D a pris tout à coup une toute autre envergure", poursuit Goddard. Cameron ne considère pas en effet le projet juste comme un spectacle de parc d'attraction basé sur T2, mais comme un troisième (mini) film. Un "marchepied", selon ces mots, vers un troisième épisode cinéma de la saga. Un moyen de faire vivre la mythologie dans la conscience du public. Contacté par son ami, Arnold, qui ne rêve que de tourner un autre Terminator, saute bien évidemment sur l'idée. "Il voulait faire un troisième Terminator", explique Cameron. "Donc il a dit oui. Et derrière, un par un, il m'a été facile de convaincre les autres acteurs de reprendre leurs rôles aussi." Pour Cameron, T2-3D est littéralement une expérience nouvelle, la création d'une forme inédite d'entertainment. "A Digital Domain, on cherche toujours de nouvelles manières de distraire le public visuellement", explique t-il à l'époque pour le magazine Cinescape, "par exemple, nous travaillons sur un concept de cinéma dynamique avec des simulateurs. Même les attractions traditionnelles nous intéressent".>>> Terminator : le guide des paradoxes de la sagaCameron fait le tour de toutes les autres attractions au parc Universal pour y puiser des idées, participe à d'autres réunions de développement, réécrit le script et implique sa compagnie Digital Domain dans la création des effets, le tout conjointement à la préparation de Titanic. Le magicien des effets spéciaux Stan Winston, réalisateur du teaser de T2 et du clip promo T2 des Guns & Roses avec Arnold, ainsi que le superviseur des effets spéciaux de T2 John Bruno rejoignent l'équipe comme co-réalisateurs, tandis que Brad Fiedel, le compositeur des deux premiers films, accepte de s'occuper de la musique de l'attraction et du court. C'est une véritable "reformation". "C'était comme un rêve" explique Goddard. Une fois que le budget a le feu-vert, que la compagnie Digital Domain est en train de travailler sur les effets, la date de tournage est calée et un dernier meeting est organisé pour mettre au parfum le reste des exécutifs d'Universal. Cameron est présent mais laisse le directeur du projet faire sa démonstration. Goddard raconte : "La réunion se termine et un des exécutifs se met soudain à poser des questions : 'Pourquoi ce truc est là, et blah blah blah...' Je lui réponds 'à cause de ça, ça et ça', et il poursuit 'mais est ce qu'on ne pourrait pas changer ça...' et je rétorque 'non, parce-que sinon il faudrait aussi changer ça'. Il ne démord pas et continue à poser des questions. J’essaie poliment de lui faire comprendre que c'est fini, que la production est en marche. Mais il ne s'arrête plus : 'Mais je pense vraiment que...'. La situation commence à dégénérer quand tout à coup, on entend quelqu'un qui dit très fort 'T'es qui, connard ?!'. Tout le monde se retourne : c'est la voix de James Cameron. Le gars lui répond 'Je suis le vice-président exécutif de ça et ça'. Et Cameron lui répond 'Très bien, alors écoute moi : le train a quitté la station. Ce qu'il vient de vous présenter, c'est ce qu'on va réaliser. On est là par courtoisie, pour vous montrer à tous ce qu'on va faire. On n’est pas venu ici pour t'écouter lire tes notes. Fin de la discussion !'." "James Cameron est un gorille d'une tonne", poursuit Goddard. "Il n'y a aucune chance que ce gars ou n'importe qui d'autre puisse dire quoi que ce soit, se mettre en travers de son chemin et l'empêcher d'atteindre son but".Pièce maîtresseT2-3D est à la fois l'une des pièces les plus importantes de la filmographie de Cameron et à la fois la moins connue, de par sa distribution limitée. Il s'agit bien évidemment de sa première expérience de tournage en 3D, 10 ans avant Avatar, et pour cela, il va utiliser un rig composé de deux caméras 65mm Showscan CP-65, pesant 225 kilos. "Nous avions des caméras de la taille d'un frigo et les faire bouger de la même manière que dans Terminator était la plus grande difficulté à surmonter", explique Cameron. "Il nous fallait reproduire, malgré le poids des caméras, le sens de la vitesse, d'euphorie et de dynamisme que les gens attendent des films Terminator."C'est Russell Carpenter, qui vient d'éclairer True Lies pour James Cameron, qui succède à Adam Greenberg (qui avait éclairé les deux premiers films) comme directeur de la photographie. Pour le tournage, Cameron se charge de toutes les scènes avec les acteurs tandis que Stan Winston réalise les plans à effets avec les endo-squelettes et autres engins de mort. John Bruno de son côté, tourne tous les plans impliquant des cascadeurs. Le budget est de 24 millions de dollars, du jamais vu pour 12 minutes de film. David FakrikianExtrait d'un livre consacré au cinéma de James Cameron, à paraitre en 2016 aux éditions Huginn et Muninn. Rejoignez le facebook du livre ici.