Makoto Shinkai et Suzume
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De retour avec le merveilleux Suzume, le réalisateur de Your Name nous parle de spiritualité, de destruction et de reconstruction, de souvenirs d’enfance, et (un peu) de son cinéma.

Comment continue-t-on à faire des films quand on a signé le phénoménal Your Name, soit l’un des plus gros succès du cinéma d’animation de tous les temps ? Makoto Shinkai l’admet lui-même : il se sent un peu perdu… Ce que l’on ne ressent pas forcément en voyant Suzume. Alors que Les Enfants du temps, le film d’après Your Name, décevait forcément, Suzume est un véritable triomphe (notre critique est ici). L’histoire d’une lycéenne à la poursuite d’un esprit-chat, accompagnée d’une chaise à trois pieds… Un affolant road trip mystique qui parcourt le Japon d’ouest en est, qui est à la fois un concentré de toutes les obsessions visuelles et narratives de son auteur et une magnifique aventure animée. Un des sommets de l’année qu’on tente de décrypter avec son auteur.

Suzume : une splendeur totale par le réalisateur de Your Name [critique]

C’est peut-être curieux, mais Suzume m’évoque le sanctuaire d’Ise, au Japon, détruit et reconstruit tous les vingt ans…
C’est la première fois que l'on m’en parle par rapport au film ! Mais c’est intéressant, parce que le cycle destruction/reconstruction est quelque chose d’inhérent à la société japonaise. A cause des tremblements de terre, forcément, la plupart des villes sont toujours détruites à un moment donné. Tokyo a été dévastée il y a 100 ans, Kobe en 1995… on répète toujours la même chose : détruire et reconstruire.

Suzume évoque frontalement la religion Shinto, est-ce un choix personnel de votre part ?
Le Japon a reçu beaucoup d’influences culturelles étrangères, y compris dans la religion -mais Shinto est la religion la plus japonaise, parce qu’elle est liée au territoire au sens propre. Je ne dirais pas que j’ai la foi shintoïste -je ne suis pas adepte de cette religion, mais c’est plus qu’une croyance, c’est une culture qui fait partie de nous. Quand on passe devant un sanctuaire, très naturellement on prie en joingant les mains pour saluer les dieux… inclure ces éléments dans Suzume est au fond parfaitement naturel.

Est-ce que le cycle de destruction et de reconstruction que Suzume met en scène est aussi votre cycle en tant que cinéaste ?
Je ne me suis jamais posée cette question ! En fait, je ne me sens pas vraiment cinéaste. Je suis un réalisateur autodidacte, j’ai commencé en m’auto-produisant… Avec des mangas et des livres illustrés. Et je suis passé à l’animation. Je ne suis pas au niveau d’un « cinéaste ». Disons que je n’en suis pas conscient ?

Votre film donne plus l’impression de s’inspirer de votre propre œuvre que de celles d’autres cinéastes : avez-vous l’idée de la perfectionner sans cesse ?
En tous cas, j’essaie toujours de faire le film le plus parfait, meilleur que le précédent ! Mais quand je le termine, je n’ai que des regrets… Alors je me dis que la prochaine fois, ce sera moins pire. (il sourit) Suzume a été présenté au Festival de Berlin, j’ai revu le film sur grand écran et ça a été un moment très pénible… Je ne voyais que les défauts. La prochaine fois, je vais faire un meilleur film ! Bon, je ne devrais pas dire ça, je dois donner envie aux spectateurs français d’aller le voir…

Vous sentez-vous différent après un film ?
Oui. Je me sens presque une nouvelle personne. Je fais un film tous les trois ans, et je me sens « actualisé » : je vois des améliorations techniques, d’accord, mais je me sens surtout vieillir. Je fais ainsi des sauts dans le temps, de trois ans à chaque fois.

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Qu’est-ce que le succès de Your Name a changé en vous ?
Grâce à son succès, j’ai pu avoir plus de libertés -et plus de budget !- pour mes films suivants. Et puis, les gens sont désormais plus à l’écoute de mes souhaits artistiques… Je me sens de plus en plus libre, mais en même temps… je sais que Your Name était un tournant. Je pense parfois à ce qui se serait passé si le film n’avait pas autant marché, et je me dis que c'est ça, le chemin naturel que j’aurais dû emprunter. Je me sens un peu perdu dans ce chemin où Your Name a été un triomphe.

Voyez-vous le thème de la séparation comme central à votre oeuvre ?
Mmm, laissez-moi réfléchir un peu... Vous trouvez que c’est présent ? Oui, j’en parle, mais je trouve que mon thème favori est la recherche de quelque chose que l’on ne trouve pas. Dans Your Name, on recherche quelqu’un que l’on n’a jamais vu ! Dans Les Enfants du temps, les deux héros sont destinés à se rencontrer… Donc, c’est plutôt la rencontre que je mets en scène. Je précise : j’aime montrer la communication possible malgré la distance. Même si je fais de films avec de grandes équipes, tout vient de moi, d’une seule personne… Suzume a été vu par 10 millions de personnes au Japon. Pour moi, le film est la communication entre moi-même et ces 10 millions. Et moi-même, j’évolue, je fais d’autres films… Je répète ce cycle et c’est ça qui m’intéresse. J’ai aussi une fascination pour le ciel étoilé. J’ai grandi dans une campagne entourée de montagnes, dans le département de Nagano. Je passais tout mon temps à regarder le ciel : si j’étais sur une autre planète, à quoi ressemblerait le ciel ? J’y projetais tous mes rêves et toutes mes illusions.


Pourquoi cette fascination pour le ciel plus que pour le paysage en soi ?
Hum, je ne sais pas… Je n’ai jamais analysé cette envie. Mais cela doit être lié à l’enfance, absolument. Il n’y avait pas de terrain de jeu dans ma campagne. Il n’y avait que les montagnes. Le ciel était là : c’était comme un écran, je voyais des images sur cet écran. Surtout voir la naissance des étoiles au crépuscule, petit à petit. Je pouvais rester des heures devant. Je rêvais de quelque chose que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais rencontré. Le ciel était le symbole de l’inconnu, de la beauté. D’une personne belle que je ne connaissais pas.

Pourquoi avoir utilisé Rouge no Dengon, une chanson déjà utilisée dans la bande originale de Kiki la petite sorcière, dans Suzume ?
Au Japon, tout le monde connaît cette chanson. Pour les personnages du film c’est naturel d’entendre cette chanson. Ainsi, je voulais montrer mon respect à Miyazaki : j’ai beaucoup pensé à Kiki la petite sorcière en faisant Suzume. Mon film veut montrer un autre aspect de la réalité, mais dans mon film, comme dans la vraie vie le tremblement de terre du 11 mars 2011 (NDLR : dont l’incident de Fukushima a été une de ses conséquences) s’est réellement produit. Ça fait partie de notre quotidien -tout comme les films de Ghibli font partie de notre quotidien.

Propos traduits par Shoko Takahashi-Sandoval