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© Filmdepot

Ce thriller allemand prenant, huis clos au sein d’un établissement scolaire où la situation dégénère suite à un vol, est nommé à l’Oscar du film étranger. Rencontre avec son réalisateur.

Comment naît La Salle des profs ?

Ilker Çatak : J’avais envie de faire un film centré sur un personnage qui, tout en pensant faire le bien autour d’elle, ne cesse de faire les mauvais choix. Cette idée que l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions

Et très vite, l’école s’est imposée comme le cadre idéal pour une telle histoire ?

Rien n’était prémédité mais le fruit de discussions avec mon co-scénariste Johannes Duncker qui se trouve aussi être mon ami d’enfance… avec qui j’allais à l’école !  Un jour, il m’a raconté que sa sœur, prof de maths, avait été confrontée à un vol dans son établissement. Ca nous a rappelé ce que nous avions vécu, enfants, dans notre école, où deux élèves dérobaient régulièrement les affaires de leurs camarades. On savait tous qui ils étaient mais personne ne l’a avoué car on préférait tous se faire voler des choses qu’être traités de balance. Tout cela a nourri notre inspiration pour arriver à cette idée d’un vol dans la salle des profs comme déclencheur d’un thriller dans le monde de l’école qui a immédiatement séduit notre producteur. Et on s’est alors mis à développer cette idée ensemble avec Johannes. En Allemagne, la plupart des films traitant du monde de l’école et de l’enseignement le font par le prisme de la comédie. Ca me plaisait de l’aborder sous un autre angle.

Votre film construit sa tension sur la succession de dommages collatéraux causés par ce vol. Aviez-vous dès le départ une idée de l’arc scénaristique qui vous conduirait à la conclusion de ce récit, cette fin ouverte où chacun peut y projeter ce qu’il veut, ou travaillez-vous scène par scène ?

En nous lançant dans l’écriture, on n n’avait absolument aucune idée de comment tout cela allait se terminer. On a donc vécu au fond l’expérience que j’espère que les spectateurs vont vivre. Et c’est ce qui rend ce travail excitant. Chaque scène en déclenchait une autre même si nous nous étions fixé deux règles auxquelles nous nous sommes tenus : ne jamais quitter l’établissement et distiller dans chaque scène un conflit, quel qu’il soit.

LA SALLE DES PROFS: CHAOS AU COEUR DE L'ECOLE [CRITIQUE]

La Salle des profs révèle une comédienne impressionnante dans le rôle de Carla Nowak, cette prof qui, en accusant un membre de l’administration du vol de son argent, met malgré elle le feu aux poudres : Leonie Benesch. Vous avez écrit ce rôle pour elle ?

J’adore Leonie depuis des années et je trouve qu’elle était sous- estimée, qu’elle n’avait jamais eu à jouer un personnage capable de montrer l’étendue de ces années : on ne lui avait offert de rôle principal. On a donc écrit avec sa photo punaisée au mur et le processus d’audition n’a fait que conforter notre intuition : Leonie était LA comédienne parfaite pour ce rôle qui tient pour beaucoup sur la capacité de son interprète à garder le mystère sur qui est ce personnage sans paraître pour autant opaque car nous avons pris le parti de ne pas raconter sa vie en dehors des murs de cet établissement. On ne sait pas si Carla vit seule ou en couple, si elle a des enfants ou non, quels sont ses amis ou ses hobbies. Leonie tout de suite compris ça et, par ses propositions sur le plateau, a fait progresser le personnage par rapport au scénario.

Tourner ce film, c’est aussi se confronter à mettre en scène des enfants et de jeunes adolescents qui n’avaient aucune expérience de plateau. Comment avez- vous travaillé avec eux ?

Cela se joue évidemment dès le casting où je n’ai vu aucun de ces enfants en audition individuelle mais en faisant à chaque fois des exercices d’improvisation par quatre ou cinq. Car c’est la cohésion de la classe, la dynamique de leurs échanges qui me paraissait essentiel. Outre leur qualité, j’ai aussi choisi des jeunes gens dont j’avais perçu qu’ils s’intéressaient au processus de fabrication d’un film. Et, avant le tournage, je les ai réunis pour leur dire que j’avais envie qu’ils me rendent fiers et qu’eux- mêmes, quand ils découvriront le film, soient fiers d’eux- mêmes. Je ne les ai pas traités comme des enfants, je les ai tout de suite responsabilisés en leur disant que ce n’était pas un jeu mais un travail avec une éthique à respecter : se coucher tôt, ne pas mettre le bazar sur le plateau, apprendre son texte, respecter ses camarades de jeu…

Est- ce plus compliqué d’écrire pour des adolescents que pour des adultes ?

Non parce qu’on a n’a pas essayé de les faire « parler jeune » car on savait que cela allait créer une certaine artificialité. Ils parlent au fond comme des adultes et cela correspond au récit qu’on a développé.

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Tandem Films

Comment avez- vous créé à l’image avec votre chef opératrice Judith Kaufman le climat étouffant de ce Salle des profs ?

Trois éléments de base se sont tout de suite imposés : des plans- séquence, une caméra le plus possible en mouvement et le format 4 : 3 pour enfermer encore plus nos personnages dans cette école. Le processus a été ensuite très intuitif mais on s’est appuyé sur quelques références, Cold war en tête.

Le montage tient aussi un rôle essentiel dans la tension qui domine votre récit jusqu’à sa conclusion. Cette étape a été particulièrement laborieuse pour vous ?

Honnêtement non car je suis quelqu’un de très impatient. J’arrive donc assez rapidement à une première version d’à peu près deux heures. Et je fonctionne alors toujours de la même manière : je demande à mon monteur de parvenir ensemble à une version de 80 minutes puis on redonne du mou au récit pour finir autour de 90. Et c’est ce qui s’est passé sur La Salle des profs.

Comment avez-vous créé à l’image, avec votre chef opératrice Judith Kaufman, le climat étouffant de ce Salle des profs ?

Trois éléments de base se sont tout de suite imposés : des plans-séquence, une caméra le plus possible en mouvement et le format 4 : 3 pour enfermer encore plus nos personnages dans cette école. Le processus a été ensuite très intuitif mais on s’est appuyé sur quelques références, Cold war en tête.

Le montage tient aussi un rôle essentiel dans la tension qui domine votre récit jusqu’à sa conclusion. Cette étape a été particulièrement laborieuse pour vous ?

Honnêtement non car je suis quelqu’un de très impatient. J’arrive donc assez rapidement à une première version d’à peu près deux heures. Et je fonctionne alors toujours de la même manière : je demande à mon monteur de parvenir ensemble à une version de 80 minutes puis on redonne du mou au récit pour finir autour de 90. Et c’est ce qui s’est passé sur La Salle des profs.

Vous avez présenté votre film à travers le monde. Avez- vous ressenti des différences de perception culturelles entre les spectateurs allemands et ceux des différents autres pays ?

Non et cela prouve qu’on avait vu juste avec mon co- scénariste quand on pensait dès le départ notre propos totalement universel et ne s’adressant pas uniquement au public allemand. A une exception près, peut-être, le public américain où, du fait des armes en vente libre et des carnages qu’il y a pu avoir dans certains établissements, j’ai senti le public encore plus angoissé par l’histoire et comment cette montée crescendo de la tension allait se terminer. Mais ma grande fierté réside dans la réaction des profs qui viennent me voir après les projections. Ils me remercient de montrer au grand jour ce à quoi ils sont confrontés chaque jour. Ils y voient comme un soutien et ils ont raison car étant entouré dans nos vies personnelles de profs, ce fut un moteur et un de nos objectifs pour ce film.

Comment avez- vous vécu votre nomination à l’Oscar du film étranger et la campagne qui va avec ?

De manière très contrastée. Car cette reconnaissance apporte évidemment de la joie… mais aussi un boulot de dingue ! Et à force de multiplier les aller-retour avec les Etats- Unis, j’ai le sentiment d’avoir totalement négligé ma famille… comme mon prochain projet car je n’arrivais pas à me concentrer. J’ai perdu le sommeil. Je souffre d’insomnie pour la première fois de ma vie. Certes tout cela a payé mais à quel prix ?

La Salle des profs. De Ilker Çatak. Avec Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak… Durée : 1h39. Sortie le 6 mars 2024