Quatorze ans après avoir lancé la saga des X-Men, Bryan Singer reprend les rênes de la franchise, rassemble un casting monstrueux et réécrit l’histoire. Entretien avec un cinéaste qui a le passé, le présent et le futur du film de superhéros au creux des mains.Première : la genèse du film a dû être assez particulière puisque vous deviez vous assurer de la présence des acteurs avant même de pouvoir écrire le script...Bryan Singer : Nous savions déjà que nous aurions les « jeunes » acteurs puisqu’ils sont sous contrat pour plusieurs films. Après, restait deux personnes absolument essentielles à convaincre, à savoir Patrick Stewart et Ian McKellen. Une fois leur accord obtenu, on pouvait réellement lancer le projet. J’avais envie que ce soit Hugh (Jackman) qui voyage dans le passé car il était le seul à pouvoir jouer son personnage aux deux époques étant donné que Wolverine ne vieillit pas. Pendant les prises de vues, j’ai beaucoup pensé au tournage de Usual Suspects. À l'époque, j’avais commencé par tourner toute la partie de l’interrogatoire avec Dan Hedaya, Chazz Palminteri et Giancarlo Esposito, avant de m’attaquer aux flash-back. Du coup, seul Kevin Spacey était resté et on avait pris congé de ces acteurs avant que les suspects – Gabriel Byrne, Benicio Del Toro... – ne rejoignent le plateau. Un peu comme pour Days of Future Past, où on a filmé Hugh avec le « casting d'anciens » puis Hugh avec les jeunes. Il a tout de suite été emballé lorsque je lui ai parlé du concept.Tous les acteurs ont-ils immédiatement répondu présent ?Tous ! Le souci majeur a été d’accorder les emplois du temps de tout le monde. Mon premier assistant, qui a pourtant bossé sur d’énormes films comme Avatar, n’avaitjamais eu à gérer un tel casse-tête. D’habitude, seuls trois acteurs au maximum ont des « restrictions », comme on dit. Cette fois-ci, nous en avions sept. Halle Berry, qui était enceinte, ne pouvait se rendre disponible que pour une durée très courte ; Patrick et Ian jouaient une pièce à Londres et Ian était aussi sur Le Hobbit ; Evan Peters tournait en parallèle la série American Horror Story et Peter Dinklage Game of Thrones... Il fallait également libérer Jennifer Lawrence pour qu’elle aille tourner la suite de Hunger Games, sans parler de Hugh, qui a dû s’absenter durant deux semaines au milieu des prises de vues pour assurer la promo de Wolverine – Le Combat de l’immortel (de James Mangold). Il a donc fallu constamment jongler avec les impératifs de chacun.On a l’impression que ce long métrage au budget colossal vient comme une récompense pour les efforts que vous avez fournis sur le premier X-Men, dont le coût paraît aujourd’hui dérisoire (75 millions de dollars)...Je le vis un peu comme ça, oui. L’autre récompense était de pouvoir tourner avec les jeunes acteurs. J’avais produit X-Men – Le Commencement, j’étais également l’auteur du script et j’avais activement participé au casting du film. J’avais travaillé avec Nicholas Hoult sur Jack le chasseur de géants (2013) et je connaissais Jennifer Lawrence à travers leur relation, mais je n’avais encore collaboré ni avec Michael Fassbender ni avec James McAvoy. Je n’ai pas été déçu et je crois que tout le mondea eu le même sentiment que moi.Tout le monde ? Hugh Jackman avait l’air un peu catastrophé de devoir reprendre la musculation pour ce film alors qu’il sortait à peine de Wolverine...Je sais. Il a une discipline d’enfer dans ces cas-là. Il fut un temps où Hugh venait parfois dîner avec nous pendant les tournages, mais c’est fini. Le régime qu’il doit suivre pour jouer Wolverine est hyper strict : il s’entraîne et mange un repas toutes les deux heures, son dernier de la journée ayant lieu à 18 heures. Il a fait une seule exception pendant le tournage de Days of Future Past lorsque Jim Gianopoulos (le président de la Fox) nous a rendu visite. Nous sommes allés au restaurant tous les trois et Hugh nous a regardés manger. (Rire.) Il a passé le repas à contempler ce qu’on avait commandé en disant : « Ah, c’est très bon, ça. » Je lui proposais poliment de goûter, mais il se faisait un devoir de refuser à chaque fois. Dès que je commandais un Martini, il lâchait un : « Oh, j’adore les Martinis... » C’est presque devenu gênant au bout d’un moment !Vous avez failli réaliser Le Commencement mais la warner, avec qui vous étiez sous contrat, vous avait retenu pour diriger Jack le chasseur de géant. Qu’est-ce que ça fait de retrouver la saga après toutes ces années et ce rendez-vous manqué ?J’ai l’impression de vivre ma propre version de Days of Future Past, d’avoir l’opportunité de revisiter le passé et de pouvoir corriger des choses que j’aurais faites différemment, tout en rendant hommage au travail de ceux qui m’avaient succédé. Je respecte X-Men – L’Affrontement final (Brett Ratner, 2006) et les deux Wolverine (réalisés par Gavin Hood et James Mangold en 2009 et 2013), que je n’ai pas cherché à occulter en concevant ce nouvel épisode. Et si j’ai la chance de travailler aujourd’hui avec Ellen Page, qui est une actrice formidable, c’est grâce à L’Affrontement final. Je suis ravi d’avoir hérité de ce choix de casting inspiré. En renouant avec cette saga, j’ai vraiment réalisé à quel point je me sens chez moi dans cet univers, beaucoup plus que je ne l’étais sur Superman.C’est donc pour cette raison que vous travaillez déjà sur le prochain X-Men alors que celui-ci n’est pas encore bouclé ou vous êtes juste un peu maso ?Je voulais lancer Apocalypse sans tarder afin d’avoir suffisamment de temps pour développer le projet. Si on avait attendu la sortie de Days of Future Past avant de prendre la décision, on aurait perdu de précieux mois de préproduction. Les gens du studio étaient suffisamment emballés par ce qu’ils avaient vu de Days... pour donner le feu vert au prochain, donc j’ai sauté sur l’occasion. Mais oui, je dois quand même être un peu maso puisque j’ai également accepté de réaliser le pilote d’une nouvelle série produite par les créateurs de Dr. House et de Breaking Bad, que je dois tourner ces jours-ci alors que Days... ne sera pas encorefini et qu’on prépare activement le suivant.On parle beaucoup du budget titanesque de Days of Future Past. Où va tout cet argent, concrètement ? Dans les décors ? Dans les effets spéciaux ?On le donne aux acteurs. (Rire.) Les salaires sont particulièrement élevés sur ce film – y compris le mien, d’ailleurs –, et le budget alloué aux effets spéciaux est en effet conséquent, sans être démesuré. Nous avons essayé de tourner au maximum en décors naturels, ce qui a un prix mais me semblait primordial, surtout pour les séquences situées en 1973. Si je devais détailler, je dirais que 30 % de l’argent est allé au casting, 30 % aux effets spéciaux et le reste dans le tournage. Certains jours, on était quand même près de 800 à bosser sur le plateau. Ça fait un certain nombre de bouches à nourrir.En même temps, c’est de votre faute si hugh Jackman est devenu aussi cher.Je sais ! Cela dit, cet argent ne pourrait pas aller à un type plus sympa. J’ai rarement vu un comédien se donner autant que Hugh sur un plateau. Il le mérite.Comment s’est fait le mix entre l’ancienne et la nouvelle génération ?Il y a une scène dans laquelle le vieux et le jeune Charles Xavier « se connectent », où Patrick Stewart tente d’insuffler un peu de sagesse à James McAvoy. C’était vraiment fun d’assister à ce choc des générations. Nicholas Hoult et Jennifer Lawrence, par exemple, ont grandi avec les premiers X-Men, et même s’ils jouaient dans le prequel, c’était la toute première fois qu’ils se retrouvaient dans les « véritables » décors de ces films qu’ils ont découverts étant gamins. Je revois encore Jennifer venant me demander discrètement entre deux prises : « Bryan, tu pourras me montrer Cerebro ? » (Rire.) Les acteurs se sont aussi éclatés à porter les fringues 70s, qui vont particulièrement bien à Hugh. On a d’ailleurs décidé de couper au montage une vanne qu'on trouvait très drôle mais qui ne correspondait pas totalement au ton du film. Avant d’être envoyé dans le passé, Wolverine disait : « La bonne nouvelle, c’est que mes rouflaquettes seront à la mode. »Pour beaucoup de gens, Days of Future Past est l’événement le plus attendu de l’été américain. Est-ce une revanche sur tous ceux qui ont douté de vous à l’époque du premier X-Men ?Je repense parfois aux réactions des fans de la BD lorsque les premières images avaient été dévoilées. Je me faisais assassiner tous les jours sur Internet : « Mais qu’est-ce qu’il a fait à mon comic book ? C’est quoi ces costumes bidon ? Et ce casting débile ? » Ce qui m’énerve cette fois, ce sont les comparaisons incessantes qui sont faites entre Days of Future Past et Avengers, alors que les deux films n’ont absolument rien en commun. Avengers était la combinaison de plusieurs énormes succès, rassemblés dans le but de bâtir un mégahit – enfin, c’était surtout Iron Man plus les autres –, alors que Days... réunit juste les personnages d’une même saga à différents âges. Je peux vous garantir que ma mère, qui regarde mes longs métrages uniquement parce que le nom de son fils est au générique, serait bien incapable de vous dire qui est Magneto, alors qu’elle a entendu parler d’Iron Man et sait parfaitement à quoi ressemble Hulk. Les X-Men ont toujours été des outsiders, je les décris souvent comme les enfants illégitimes du monde des comics. Condamner Days of Future Past à réaliser un carton comparable à celui d’Avengers n’est pas raisonnable, même si je suis très confiant quant à nos chances de succès au box-office.On peut se parler d’Apocalypse ?Disons que cet opus se situera probablement dans les années 80 et sera donc encore une fois très différent des précédents. Apocalypse promet d’être un adversaire assez unique et de détruire pas mal de choses sur son passage. Ceux qui trouveront que Days of Future Past n’est pas assez explosif peuvent se rassurer : on va tout faire péter dans le prochain.Propos recueillis par Mathieu CarratierVoir aussi :VIDEOS - 9 minutes dans les coulisses de X-Men Days of Future PastREVIEW - X-Men Days of Future Past est le chef-d’oeuvre de la saga