Le réalisateur Philippe Garrel est accusé de violences sexuelles par plusieurs actrices
Abaca

Par plusieurs actrices, dont Clotilde Hesme et Anna Mouglalis.

Le réalisateur Philippe Garrel, 75 ans, est la cible de plusieurs accusations de violences sexuelles. Vainqueur de l'Ours d'argent en début d'année pour Le Grand charriot, il aurait au cours de sa carrière demandé des faveurs sexuelles à des comédiennes en échange de rôles dans l'un de ses films. Interrogé par Mediapart, qui détaille une poignée de cas, il reconnaît les faits, mais affirme que ces femmes ont "mal interprété" ses gestes. Il ajoute être en pleine "remise en question" depuis ces accusations.

"Dans cette enquête, cinq femmes le mettent en cause pour des propositions sexuelles dans un cadre professionnel, dont quatre évoquent des gestes et baisers non consentis, susceptibles d’être qualifiés d’agression sexuelle ou de tentative d’agression sexuelle", écrit Mediapart, qui cite nommément quatre d'entre elles : Anna Mouglalis, Clotilde Hesme, Laurence Cordier et Marie Vialle.

Le réalisateur Philippe Garrel est accusé de violences sexuelles par plusieurs actrices
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Louis Garrel, Anna Mouglalis, Esther Garrel, Philippe Garrel et Jean-Louis Aubert à l'avant-première de La Jalousie, à la Mostra de Venise 2013.

Anna Mouglalis a joué dans La Jalousie, de Phillipe Garrel, en 2013. Elle assure que sur ce tournage, "il n'y a rien eu de déplacé". Il a ensuite voulu tourner avec elle un nouveau film sur le désir féminin. Elle l'a invité chez elle pour en parler, mais au cours de la discussion, il s'est allongé sur son lit, ce qu'elle a interprété comme une invitation à avoir des relations sexuelles avec lui. Elle a alors appelé un taxi pour qu'il rentre chez lui.

"C’est le climat de confiance du tournage qui a fait que je l’ai invité chez moi comme une figure presque paternelle, vu les 30 ans de différence d’âge", raconte-t-elle à propos de cette soirée qu'elle date précisément au 18 février 2014. "Il s’était allongé sur mon lit. Il a prétexté qu’il en avait besoin pour ses douleurs, poursuit-elle. C’est tellement énorme alors qu’il y avait deux canapés juste à côté de lui dans le salon !  J’ai dit qu’il n’en était pas question (de continuer la lecture). Puis que s’il était fatigué, il partait." Elle ajoute, à propos de son comportement "insultant" :  "On est en pleine caricature d’une misogynie et d’un machisme de base."

A propos de cette soirée, Phillipe Garrel raconte sa version des faits : "Elle m'a invité à l’heure du dîner. Nous étions dans la cuisine, et j’ai eu un malaise. Je lui ai dit que j’avais besoin de m’allonger, ce à quoi elle a répondu : 'Ah bon ? Tu crois ?' Et je lui ai répété que je ne me sentais vraiment pas bien et qu’il fallait que je m’allonge. Je suis donc allé sur son lit et me suis allongé vingt minutes, avant de rentrer chez moi." Il ajoute que pour lui "ce n’était pas un rendez-vous professionnel" et qu’il n’a eu "aucun geste ambivalent à son endroit." 

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Clotilde Hesme a été l’une des élèves de Philippe Garrel au Conservatoire de Paris. Elle a déjà raconté dans L'Express, en 2015, que le cinéaste l’"humiliait" lors du tournage des Amants réguliers, sorti dix ans plus tôt. Elle raconte aujourd'hui à Mediapart, qu'il la surnommait "L’inceste, comme l’histoire d’amour racontée dans ce film était entre son fils et moi". Elle dit être encore "sidérée" par ce comportement, mais Garrel n'y voit aucune agression : "À vrai dire, je ne comprends pas grand-chose à cette assertion", répond-il au journal.

Laurence Cordier a elle aussi déjà raconté sa mésaventure avec Phillipe Garrel aux Inrocks, en 2017. Mais c'était de façon anonyme. Elle parlait alors d'"un réalisateur majeur du cinéma français" qui l'aurait conviée à un rendez-vous pour parler d'un rôle avant de lui proposer de poursuivre leur discussion à l'hôtel. "C’était horrible, précise-t-elle à présent. Je me sentais humiliée. J’avais tellement honte d’avoir pu imaginer que c’était pour mon talent qu’il voulait me voir. J’avais la sensation de m’être fait avoir, il m’appelait pour me parler travail, c’était un cinéaste valorisé, que j’admirais, reconnu par mon école, un homme de puissance. Et je me retrouvais, au lieu d’accepter un rôle, à le repousser."

"Si Laurence Cordier s’est sentie humiliée, j’en suis désolé, réagit Garrel. Par contre, je tiens à souligner que je n’ai jamais donné de faux espoirs professionnels à une comédienne en vue de la séduire."

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Marie Vialle a été étudiante au Conservatoire, de 1994 à 1997, entre ses 20 et 23 ans. Elle raconte que Philippe Garrel lui avait fait part de son envie d'écrire un film pour elle, mais qu'au cours de l'un de leurs rendez-vous professionnels, il aurait essayé de l'embrasser.

"'Je ne peux pas faire le film si je ne couche pas avec toi', lui aurait-il dit selon le récit qu’elle nous a fait à l’oral et à l’écrit, poursuit Mediapart. Puis il aurait ajouté qu’il était 'amoureux' d’elle. Elle relate avoir 'pris le temps de lui expliquer' qu’il pouvait 'être amoureux d’elle, la désirer', mais qu’elle ne voulait pas 'coucher avec lui'. Il aurait insisté sur le fait qu’il avait besoin pour son film de la connaître 'pour de vrai', qu’il ne pouvait pas 'faire autrement'. Elle renonce alors à faire le film, raconte-t-elle."

Ecoeurée par cette expérience, elle n'a pas réussi à en parler avec Marcel Bozonnet, le directeur du Conservatoire de l'époque, avant 2022. Quand elle l'a fait, il est "tombé des nues".  "C’est en discutant avec Marcel que j’ai compris que c’était la honte et pas la peur qui m’avait fait me taire, poursuit-elle. J’ai eu la honte de m’être faite jolie et d’y avoir cru. Je me suis culpabilisée, alors que c’est lui qui me faisait du chantage. Vingt-huit ans plus tard, témoigner m’a fait comprendre que j’avais eu honte."

A son propos, Philippe Garrel reconnaît être "tombé amoureux d'elle" : "Je me souviens lui avoir expliqué que, comme beaucoup de réalisateurs de la nouvelle vague, j’aimais tourner avec la femme dont j’étais amoureux et la filmer. J’ai peut-être essayé de l’embrasser, je ne m’en souviens pas, mais elle m’a très certainement éconduit puisque c’est précisément à ce déjeuner que j’ai compris qu’elle n’était pas du tout attirée par moi. Aujourd’hui, je comprends qu’elle ait pu le vivre comme un chantage mais mes sentiments pour elle étant réels, je ne m’en suis pas rendu compte. […] Si j’ai blessé Marie Vialle, pour laquelle j’ai beaucoup de respect, j’en suis désolé."

Partageant aussi deux autres témoignages anonymes, l'article de Mediapart se conclut sur "la prise de conscience" du réalisateur... suivie d'une demande à Anna Mouglalis de retirer ses propos. "À la lecture de tous ces témoignages, je réalise la différence entre ce que j’imaginais alors et ce que je leur ai fait vivre, écrit-il au journal. J’avais déjà pris conscience de la culture qui m’a façonné, et cela a ouvert en moi une remise en question."

Dans le paragraphe suivant, la comédienne regrette qu'il l'ait appelée pour lui "demander de retirer son témoignage au nom de leur amitié". "C’est encore une fois ce grand mélange, cette création de confusion, entre privé et professionnel, considère-t-elle. Je n’ai jamais vu Philippe Garrel en dehors du travail, mais il appelle cela de l’amitié. Et puis, il ne m’appelait pas pour savoir ce qui motivait mon témoignage, juste pour me demander de l’enlever. Tout cela au moment où Polanski, Allen et Besson sont invités au festival de Venise…"

Via son avocate, Philippe Garrel répond qu'il n'a pas voulu lui mettre de pression, mais qu'il voulait seulement "discuter des accusations qu'elle portait contre lui. Il a fini par lui dire qu’elle devait faire ce que lui dictait sa conscience. Mon client me précise qu’il n’a exercé aucune pression sur cette actrice, et que sa démarche ne saurait être interprétée comme telle.", conclut l'article.