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La dope, la dèche, la musique : Nico, 1988 évoque un épisode méconnu de la vie de l’ancienne égérie du Velvet Underground.

A l'occasion de sa venue à Paris pour présenter son nouveau film Nico, 1988, Première a pu rencontrer la réalisatrice du film Susanna Nicchiarelli 

 

Votre actrice ne ressemble pas à Nico, mais on se rend vite compte que l’important est ce qu’elle fait passer…

L’imitation, ou la ressemblance, est un piège dans un biopic. Ca rend tout très rigide, depuis l’interprétation des acteurs jusqu’au ressenti du spectateur qui est moins libre de s’identifier, de rentrer dans le film. Il n’arrête pas de penser à la correspondance avec  la réalité. Je voulais éviter les clichés du biopic, et l’histoire que j’ai choisi de raconter est complètement en dehors des stéréotypes de la rock star. Elle correspond à une période peu connue de la vie de Nico, située dans les années 80, mais paradoxalement c’est la plus intéressante, d’un point de vue artistique aussi bien qu’existentiel. Peu importe si c’est celle où elle avait le moins de succès. Le fait qu’il y ait très peu de photos d’elle à cette époque m’affranchissait encore plus de la nécessité de la ressemblance. La Nico que tout le monde connaît, je la montre à l’occasion de flashbacks choisis parmi des images d’archives de Jonas Mekas. La mienne, elle est jouée par Trine (Dyrholm). Il n’y avait pas que l’imitation des gestes et des vêtements. On a beaucoup travaillé sur les chansons de Nico parce qu’il fallait les réinterpréter et Trine se les est appropriées. Elle a aussi une force intérieure qui la rend très attachante. J’avais besoin de sa joie de vivre pour m’aider à construire ce personnage difficile.

 

On a l’impression que Nico a avancé malgré elle. Sa beauté a occulté ses capacités artistiques alors que le film au contraire montre la musicienne au travail… 
C’est ce que je voulais faire. En même temps, je racontais aussi la complexité de la vie, du rapport avec le temps.
Quand sa carrière de mannequin a été finie, l’intérêt d’une partie du public est retombé. J’ai été fascinée par la façon ironique et distante avec laquelle elle parle de son passé dans les interviews. Non seulement elle ne cherche pas à prolonger l’illusion de sa jeunesse, mais au contraire elle s’en éloigne. Je trouve ça très sain. Elle n’invente pas d’excuse pour ne pas vivre au présent. Elle n’a aucune nostalgie pour les années 60. Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai été saoulée par nos aînés qui nous répétaient à quel point c’était mieux avant. De la même façon, les journalistes essayaient de faire dire à Nico que les années 60 avaient dû être la meilleure époque de sa vie. C’est horrible de dire ça à quelqu’un 20 ans après, pas seulement parce qu’elle est une femme. Elle répliquait avec une absence totale de romantisme : la seule raison de leur attitude à l’époque est qu’ils prenaient beaucoup de LSD.

 

Mais on a l’impression qu’une partie de son public venait pour la légende plus que pour sa musique… 
Pas seulement.  Beaucoup de gens la reconnaissaient pour sa production solo. Elle a inventé un son qui a beaucoup influencé la musique des années 80, le gothique, la new wave. En même temps, elle savait qu’elle avait un public limité et que sa musique était difficile d’accès. Dans le film, elle dit quelque chose que Nico a vraiment dit : "Je n’ai pas besoin que tout le monde m’apprécie". J’admire ce courage : généralement un artiste cherche à plaire au maximum. Elle était très consciente de ce qu’elle faisait et n’avait aucun problème avec son public restreint. Là encore, on est loin des conventions du biopic où la personne qui n’a plus de succès souffre. La réalité est différente. Quand un artiste croit à son projet, il le suit jusqu’au bout.

 

Avez-vous cherché à imiter sa musique ?
On a pu travailler les chansons de Nico en les réadaptant à la voix de Trine. Je l’ai choisie pour ses capacités d’actrice, mais quand j’ai su en plus qu’elle était chanteuse, c’était parfait. Son interprétation passe par le chant, et il était important que ce soit sa voix qu’on entend et pas celle de Nico. Après, chaque concert raconte une étape de l’évolution du personnage. A Prague par exemple, elle était clean, et elle a donné une performance formidable. A ce moment, le public semble lui donner la force. Peu de temps après, elle  arrêtait complètement l’héroïne. C’était une étape importante de son parcours de libération.

 

Qu’est-ce qui la faisait souffrir pour être accro à l’héroïne ?
Je ne crois pas qu’elle se droguait parce qu’elle avait perdu sa notoriété des années 60, c’est encore un stéréotype. Il y avait d’autres causes existentielles, comme le fait d’avoir eu un enfant et de ne pas avoir passé assez de temps avec lui. De l’avoir perdu dans la foule, dans l’hédonisme des années 60, était pour elle un problème beaucoup plus lourd que de ne plus être une star. Il y avait aussi le rapport avec sa mère, avec son passé en Allemagne, son enfance dans les ruines de Berlin, la défaite de son pays, la honte d’être Allemande, le rapport avec son corps, avec son image. Les gens sont complexes. Leur vie ne se réduit pas au succès et à l’insuccès, comme les biopics ont trop souvent tendance à le montrer.

 

Nico, 1988, réalisé par Susanna Nicchiarelli, avec Trine Dyrholm, John Gordon Sinclair, Anamaria Marinca et Sandor Funtek, en salle le 18 avril 2018