Fingernails : quand votre compatibilité amoureuse dépend de votre manucure [critique]

Jessie Buckley, Jeremy Allen White et Riz Ahmed forment un triangle amoureux au cœur d'un récit de science-fiction dystopique.

Fingernails arrive sur Apple TV+ aujourd'hui. Après l'étonnant Apples, réflexion sur la mémoire, ce projet indé signe le deuxième film en solo du réalisateur grec Christos Nikou, connu pour ses collaborations avec Yorgos Lanthimos (The Lobster et prochainement Pauvres Créatures) et Richard Linklater (Before Midnight). L'intrigue dystopique invoque l'influence des nouvelles technologies et le rôle qu'elles pourraient jouer dans l'équation de cette mystérieuse alchimie amoureuse. Il s'agit ici de suivre plusieurs étapes encadrées pour acheminer à l'étape finale : faire tester les ongles des partenaires pour définir leur compatibilité.

Le cinéaste en herbe a rassemblé des acteurs dans la fleur de l'âge et de leur succès, notamment Jessie Buckley (Men), qui joue Anna, personnage principal de ce triangle amoureux et Jeremy Allen White (The Bear), qui prête ses traits à Ryan, partenaire de longue date de la jeune femme. Mais c'est sans compter sur la perturbante présence de Riz Ahmed (Sound of Metal), alias Amir, l'instructeur chargé d'encadrer les tests de compatibilité amoureuse.

"Je vois tellement de personnes utiliser toutes ces applications de rencontre, swipper à droite ou à gauche tout en essayant de trouver le match parfait. Ils se fient à un algorithme qui leur suggère des personnes alors que les choses devraient être plus instinctives", a expliqué Christos Nikou à BFI, interrogé sur ce qui lui avait donné l'idée de ce long métrage.

Dans Fingernails, le test ongulaire s'est immiscé de manière déterminante dans la société où le regard des autres compte plus que tout : si vous n'avez pas testé votre couple, c'est mauvais signe. Réflexion conceptuelle dans l'esprit de Bienvenue à Gattaca, le film s'accapare furtivement le genre de science-fiction pour mieux interroger notre époque, et pourrait aisément être à un épisode de la série dystopique Black Mirror.

L'empoisonnement de la société nous est suggéré par le biais d'une nouvelle technologie dont (presque) tout le monde se fie. La problématique du film réside dans ce sentiment de sécurité que prodiguerait une machine semblable à un four micro-ondes, et qui (en plus) dysfonctionne. Il faut dire que la technologie apporte un cadre, un confort d'esprit déterminant pour Anna, mais que fait-on de toute la spontanéité d'une attirance ? 

Anna en pince pour Amir, son collègue de travail et cela va la mener à pincer son ongle pour le faire tester. Faut-il prendre en compte l'avis d'un micro-ondes lorsque l'attirance est d'une évidence limpide ? C'est tout l'enjeu du film. Anna ronge ses ongles tant la tergiversation interne est insupportable, les silences témoignent de l'interminable réflexion de la protagoniste. Anna se rend compte que malgré la compatibilité avec Ryan (100%), la trentenaire se lasse – elle ne peut lutter contre la spontanéité de son caractère anthropien. Comment contrôler une évidence sentimentale ? La création de Christos Nikou est une porte ouverte à l'introspection et tend à s'intéresser à la pression sociale qui peut immerger dans l'esprit des trentenaires, généralement considérés comme en âge pour se marier et avoir des enfants. 

Ce qui jaillit de cette dystopie glaçante est que la certitude amoureuse ne ferait qu'altérer nos relations et comportements – cela reviendrait à radier l'instinct humain. Christos Nikou parvient à nous convaincre qu'un monde jonché de certitudes ne serait pas compatible avec notre essence. Même si le concept sous-entend l'absurde de cette science non exacte, le film aborde la thématique avec beaucoup de sérieux. Sur ce point, la filiation avec The Lobster est évidente. Même si Anna lutte, la (longue) résistance ne tient pas. La jeune femme s'abandonne difficilement dans les bras d'Amir, même si leurs manucures respectives ne s'accordent pas.

Fingernails est à voir sur AppleTV+ à partir du 3 novembre 2023.