Bertrand Bonello
Festival de Gérardmer

Le réalisateur de L'Apollonide et Saint Laurent était président du Festival du film fantastique de Gérardmer, qui vient de s'achever en ligne.

Le 28ème Festival international du film fantastique de Gérardmer vient de s'achever avec le sacre de Possessor, second film de Brandon Cronenberg (Antiviral) où une femme (Andrea Riseborough) membre d'une organisation secrète utilise une nouvelle technologie neurologique pour posséder le corps de personnes et commettre des assassinats. Bertrand Bonello, président du jury, raconte son rapport au genre et son amour pour Chromosome 3 de David Cronenberg, papa de Brandon.

Le festival de Gérardmer sacre Possessor de Brandon Cronenberg

Bertrand Bonello : Je trouve ça formidable que les animateurs aient réussi à maintenir le Festival et en faire tout de même un événement. Il y a évidemment la frustration de ne pas être dans la salle avec un public... Mais les gens ont tellement envie de voir des films récents ! C'est un tel plaisir de voir des films neufs... Le monde est dans un tel état catastrophique : j'étais curieux de voir comment douze cinéastes très différents et plutôt jeunes allaient retranscrire cela.

Quel est votre rapport au cinéma fantastique et horrifique ?
C'est une cinéphilie particulière. Ça a été mon entrée dans le cinéma. C'est un genre de films qui appelle surtout, avant tout, la mise en scène. Je connais très bien le ciné fantastique de mon adolescence, après j'ai un peu lâché dans les années 90, le ciné que je voyais ne m'avais pas semblé passionnant. Celui de mon adolescence était un ciné très premier degré, avec des metteurs en scène qui prenaient très au sérieux ce qu'ils faisaient -ils mettaient en scène leur peur du monde. Après c'est devenu un peu cynique, avec ce mélange de parodie et d’humour. Depuis 7-8 ans, un renouveau du premier degré, une volonté de reprendre tout cela au sérieux. Tout en restant divertissants -c'est leur but- mais remettre du sous-texte, du politique. Du coup, ouais, je m'y ré-intéresse pas mal.

Quels sont les films de votre adolescence que vous revoyez le plus souvent ?
Je revois régulièrement les Argento, les Cronenberg, les Carpenter, les Romero... Assaut, je le regarde assez souvent, évidemment Profondo Rosso... Et Chromosome 3 : c'est un de mes Cronenberg préférés. Pourquoi ? Je le trouve extrêmement touchant dans ce qu'il raconte. Le problème de garde d'enfant, les images fabriquées à partir de rien -des enfants avec un anorak et un bec-de-lièvre et un marteau... Avec des bricoles, trois fois rien, il fabrique un truc absolument terrorisant. Samantha Eggar en robe blanche qui montre son utérus externe ! C'est absolument marquant.

Et du côté du cinéma de genre récent ?
Je n'aime pas tout ce que fait Jordan Peele, mais ça reste intéressant. Tout comme le Hérédité d'Ari Aster... Mais ce que je retiens surtout c'est M. Night Shyamalan : un type qui s'était un peu perdu à un moment, et que je retrouve passionnant. Un film comme The Visit, il l'a fait avec pas grand-chose, et le résultat est très inventif. The Strangers, ça c'est complètement dingue ! Je l'ai vu en salles. Et je l'ai revu en Blu-ray. Complètement fou. Encore plus fou la deuxième fois, parce que l'on sait à la fois d'où ça vient et où ça va.

Vous vous êtes confronté au genre sur scène avec Sarah Winchester, opéra fantôme pour l'Opéra de Paris et Zombi Child : êtes-vous satisfait ?
Le genre est toujours proche dans ce que j'ai fait : il y a du fantastique dans Tiresia, même dans L'Apollonide... On est très loin du tournage, mais mon prochain film est un mélodrame sur trois époques : en 2044, 1910 et 2014, le tout teinté d'anticipation et de slasher -mais c'est un mélodrame avant tout. Pour moi, le plus « genre » que j'ai fait c'est Nocturama même s'il n'y a pas de fantastique. Il est traité mis en scène comme un film de genre. En fait, je n'ai pas fait des films de genre à 100%. En tournant Nocturama, j'ai aussi beaucoup pensé à Elephant d'Alan Clarke. C'est Gaspar Noé qui m'en avait parlé, et je l'ai découvert en Canada dans un coffret VHS...

Justement, quel film de genre conseillez-vous, si on devait mettre une étiquette "Bonello présente" ?
En fait, c'est ce que propose le site de streaming La Cinetek, dont je suis membre fondateur : des cinéastes qui conseillent des films. Et j'ai proposé de mettre en ligne des trucs Chromosome 3, Showgirls, mais aussi Histoire(s) du cinéma de Godard... Des films de chevet, très personnels.

Dans une interview à France Info la semaine dernière, vous disiez que vous en aviez assez d'épuiser votre vidéothèque...
Oui, je n'en peux plus des plateformes, enfin vous voyez. Ce n'est pas l'expérience de la salle pleine -je vais plutôt au cinéma le matin à 11h, pour être tranquille- mais c'est sortir de chez soi, pour aller quelque part, à la rencontre d'un film. Pour la qualité technique d'une salle. Netflix OK, mais c'est un peu le supermarché : on ne crée pas de désir. La salle crée du désir. On va quelque part, pour faire quelque chose. C'est comme faire une psychanalyse par Skype ou prendre le métro pour aller chez son psy, dans la salle d'attente. Ça n'agit pas pareil. En ce moment, on a un rapport aux films un peu morbide. En Festival, tout est exagéré, génial ou nul, c'est vivant et plein de mauvaise foi.