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Le cinéaste italien nous aide à mettre un peu d'ordre dans l'enchevêtrement des récits de son joli conte, disponible en DVD.

En apparence, le registre fantastique de ce long-métrage est nouveau pour vous. Mais il concrétise en fait des préoccupations esthétiques et thématiques déjà présentes dans vos autres films...
A quoi pensez-vous ?

A Il Imbalsamentore (L’étrange monsieur Peppino) ou à l’ouverture surréaliste et quasiment féérique de Reality...
L’histoire de Il Imbalsamentore pourrait être un conte de Basile, c’est vrai. Le fantastique m'a toujours accompagné. En lisant Basile, je me suis retrouvé face à de nombreux éléments qui caractérisent mon travail. Tout ce qui concerne le corps et sa métamorphose, mais aussi le désir sous ses différentes formes.

J'ai passé la projection du film entre deux états. D'un côté, j’étais fasciné par la beauté des images et la production design, de l'autre, je cherchais constamment à décoder les symboles, à évaluer la portée du film…
Le film fonctionne comme un tableau. Quand vous regardez une peinture, vous n'essayez pas de comprendre. Vous laissez votre inconscient vous guider et faire le travail. Je voulais que le spectateur vive le film comme une expérience émotionnelle, un voyage sensoriel. Mon approche de ces contes n’a jamais été intellectuelle, mais libre, instinctive, uniquement basée sur les émotions. 

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Du coup, ici, vous étiez moins moraliste qu'illustrateur.
Prenez le conte des deux vieilles filles. Pour moi, c'est de la commedia delle arte. Il y a un jeu sur les ambiguïtés, sur les équivoques, mais je cherchais surtout la vibration de leurs personnages. Ici et là, certains symboles renvoient immanquablement au monde contemporain, le désir de jeunesse, le pouvoir, la corruption… Mais ce qui comptait le plus pour moi, c'était l'humanité et le tempo. Le tempo comique. Après vous interprétez ça comme vous voulez. Tout me va. 

Comment avez-vous conçu l'univers esthétique du film ?
On vient tous de la peinture. Avant de devenir réalisateur, j’étais peintre ; mes assistants et mon régisseur aussi… En abordant la préparation, on avait des références picturales très précises. Des tableaux du XVIIème siècle, surtout du Caravage ou de Salvator Rosa. Et puis mon obsession : Goya. Les Caprices (une série de gravures signées du génie espagnol). Il mélange le macabre, le grotesque, le fantastique et le drame. Tout est là. Comme dans les contes de Basile. Ce mélange des genres est au cœur de mon cinéma. Depuis Il Imbalsamentor jusqu’à Reality et Gomorra, je pratique un cinéma de genre, hybride.

Vous parlez de peinture, mais il y a énormément de références au cinéma. Del Toro, Powell et Pressburger, Cronenberg….
Cronenberg, c’est l’autre obsession. J'ai même embauché son chef opérateur, c’est vous dire. J'adore son travail sur le corps et ses mutations, c'est une thématique qui me passionne depuis des années. D’une manière générale, ce qui caractérise le cinéma de genre, c’est son art du mélange, la façon dont il opère la synthèse entre le pur et l'impur. J'ai beaucoup pensé à Bava par exemple. Au Pinocchio de Comencini. A Brancaleone. Mais tu sais ce qui m'a le plus inspiré ? Tous ceux qui cherchent à revenir au cinéma en tant que pur spectacle. Ceux qui veulent retrouver Méliès, le cirque, la fête foraine. C'est le sens de la scène dans laquelle John (C. Reilly) tue le dragon. Je l’ai conçue en hommage au cinéma muet.

Vous faites le choix d’un dénuement du cadre et d’une frontalité très forte.
Je cherche à la fois l'artifice et la vérité de l'image. Tout mon cinéma est dans cette contradiction. 

C’est ce qui explique le mélange entre un coté artisanal et des effets spéciaux très présents ?
Encore une fois, je viens de la peinture. J'ai besoin de matière, de texture et de richesse. C'est vrai que c’est un film qui a nécessité beaucoup d'effets spéciaux. L'image du coup est apparue sur une longue durée – et non d'un coup. On a tourné sur fond vert puis on a travaillé en post-production, plan par plan, couche par couche… Je n'avais pas le contrôle immédiat de l'image et j'ai dû faire confiance à mes techniciens. Comme si j'avais donné mes pinceaux à un tiers. C'était la première fois que je vivais ça. Pas évident.

La structure imbriquée des trois histoires semble avoir été réalisée avec pas mal de désinvolture…
Je préfère dire liberté ! Il a d'abord fallu choisir ces trois contes parmi les cinquante du livre. Ce qui fut très compliqué. On a opté pour trois contes féminins. Le premier traitement de ces trois histoires a été imprimé sur des feuilles de couleur différentes. Chaque segment avait sa couleur. J'ai accroché ces feuilles sur un tableau et je me suis mis à les mélanger, encore et encore, moins en fonction du sens que d'un pur instinct visuel. En fonction de la manière dont les couleurs se mariaient. Et c'est comme ça que le scénario est né.

Comme un peintre, de nouveau ?
Exactement. Ou comme de la cuisine. Et au montage, j'ai encore changé des choses, modifié l'ordre des séquences. J’aime l’étrangeté qui naît de cette méthode.

Le casting international et l’usage de l’anglais appuient cette étrangeté. Vous vous emparez d'un substrat très italien mais en l'emmenant ailleurs…
Bon, je ne vais pas nier que le film s'est financé plus facilement avec des stars internationales. Mais l'anglais me plaisait aussi parce qu'il donnait un côté shakespearien au film, une tonalité élisabéthaine qu'on trouve déjà dans les contes originels. Et puis, Basile a écrit ses contes dans un dialecte napolitain du XVIème siècle que plus personne ne lit. A partir du moment où on passe par une traduction, que ce soit de l'italien ou de l'anglais, ça ne change rien. C'est une revisitation. Mais finalement, vous avez pensé quoi du film ?

J’ai fini par me dire que peut-être tout cela n’avait pas de sens, et pas besoin d’en avoir un. En repensant à la phrase de Shakespeare : « si nous avons déplu, figurez-vous seulement (et tout sera réparé) que vous n’avez fait qu’un somme »
Ah ! Songe d’une nuit d’été ! C'est exactement ça. Le monde est une scène ! Et oui : que ceux qui n'ont pas compris se disent que ce n'était qu'un songe...

Interview Gaël Golhen

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