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Robin Campillo évoque son magnifique film, qui a bouleversé la Croisette.

En quoi votre expérience au sein d’Act Up-Paris a-t-elle infusé le film ?
Quand j’ai rejoint Act Up, en 1992, je voulais déjà faire un film sur le Sida mais j’avais du mal à trouver un point d’entrée, à surmonter mon émotion très grande à l’époque. Avec le recul, je sais qu’il fallait faire ce film-ci. Après Eastern Boys, j’ai cependant encore repoussé l’échéance. J’avais une histoire de SF en tête que je voulais mener à bien. Ce sont mes producteurs qui m’ont incité à réaliser 120 battements par minute. Ils m’ont convaincu que c’était le moment.

Le film est scindé en deux parties, l’une consacrée à la lutte collective, l’autre à une histoire d’amour et à la maladie. L’avez-vous pensé et écrit ainsi ou s’est-il trouvé au montage ?
Ce qui m’a intéressé dans un premier temps, c’était de filmer les réunions et les assemblées où les gens pensaient la politique et les actions à mener pour modifier la perception de l’épidémie par le grand public. J’ai donc alterné les scènes de débat, très rationnelles, avec les scènes d’action, qui en sont le contre-champ fantasmé. A l’intérieur de cette matière théorique, des personnages surgissent, s’affirment et de l’intime se crée. Durant ces réunions, cela se passait de toute façon ainsi : des intervenants évoquaient souvent leur maladie et faisaient glisser le discours du collectif vers le particulier. On avait l’habitude de dire qu’on faisait de la politique à la première personne… Quand la maladie devenait trop envahissante, les militants se coupaient progressivement du groupe. Le film suit naturellement ce mouvement.

Le film montre que l’activisme et la radicalité d’Act Up a modifié la face du militantisme au sens large. Nuit Debout et les Femen n’existeraient peut-être pas sans ce mouvement.
Act Up-Paris a importé une manière de penser le militantisme très américaine sur la prise de parole, la délibération, l’agit-prop, les claquements de doigts pour ne pas interrompre les gens qui parlent… Je me souviens que des gens de gauche regrettaient à l’époque que nous n’ayons pas des méthodes françaises ! Je trouvais dérisoire cette idée du nationalisme dans le cadre de la contestation politique. Il est vrai qu’on n’avait jamais vu ça. On se sentait tellement légitime qu’on n’avait un peu honte de rien.

Avez-vous vu The Normal Act, le téléfilm de Ryan Murphy sur la création d’Act Up aux Etats-Unis ?
C’est un film très didactique et historique, avec des acteurs merveilleux, éloigné de ce que j’ai voulu faire. Je ne critiquerai jamais un projet qui aborde ces questions-là. Tous les points de vue sont les bienvenus sur l’épidémie.

120 battements par minute fait battre le coeur de la Croisette