Evan Glodell
Coatwolf Productions / UFO Distribution

9 ans qu’on avait pas de nouvelles de ce cinéaste californien discret, auteur du trop méconnu Bellflower : un film artisanal mêlant drame romantique, road-trip apocalyptique et délire à la Mad Max.

En 2011, Evan Glodell assurait la réalisation et tenait le premier rôle de Bellflower, oeuvre artisanale mêlant drame romantique, road-trip apocalyptique et délire à la Mad Max. Entretien téléphonique avec le réalisateur au volant de sa bagnole traçant sur une highway... Forcément. 

Bellflower est sorti il y a neuf ans, depuis plus de nouvelles ce votre part. Où étiez-vous passé tout ce temps ?

(Rires) Vous n’êtes pas le seul à me demander ça. Après Bellflower j’ai disparu pour me concentrer sur ma philosophie de vie : prendre le temps de travailler pour vraiment aboutir à quelque chose de concret. Pendant toutes ces années, j’ai planché sur deux films, Chuck Hank and The San Diego Twins et Canary. Dans Chuck Hank, réalisé par mon ami Jonathan Keevil [compositeur de la musique de Bellflower, ndlr] je joue devant la caméra, j’ai coécrit le scénario et je suis devenu aussi par la force des choses le producteur. Canary, c’est mon deuxième long-métrage en tant que réalisateur et je joue également dedans. Ces deux projets ont pris beaucoup de temps mais c’était nécessaire. Malgré l’absence, Coatwolf [sa bande de potes avec laquelle il monte les projets, ndlr] et moi-même n’avons jamais arrêté de travailler : on réalisait, on jouait, on montait, on cherchait des solutions pour trouver des financements… Cela prend du temps, certes, mais cela permet surtout de finir les choses correctement et d’être fiers de notre travail.

Bellflower est un film culte bien que méconnu outre-Atlantique. Comment a-t-il été reçu aux Etats-Unis à sa sortie ? 

De mon point de vue, il a été super bien accueilli vu la nature du projet et les risques que l’on a pris. J’ai mis beaucoup d’âme, d’histoires personnelles dedans… Quand j’ai fini Bellflower, que nous l’avions monté puis qu’il était bien au chaud sur des disques durs… J’ai pris peur. Il y a eu un petit moment où je ne voulais plus le sortir, je ne voulais pas que des gens extérieur à Coatwolf le voient. J’étais vraiment tétanisé, je pensais que le public ne comprendrait pas, que c’était un sujet trop intime, un film trop bizarre. Et qu’on allait me prendre pour un immense trou du cul ! (Rires) 

Ah bon ? Pourquoi ?

Parce que c’était adapté d’une vraie rupture avec ma copine de l’époque… (Il hésite) Pour tout vous dire, c’était beaucoup trop réaliste, l’actrice qui joue Millie [Jessie Wiseman, ndlr] était vraiment ma copine avant qu’on fasse Bellflower et le film raconte notre histoire. C’était un peu étrange et je ne voulais pas que l’on fasse la promotion autour de ça. Maintenant les années sont passées, j’assume plus, et je me dis que l’on a bien fait.

 


 

Avez-vous eu des propositions des gros studios après Bellflower ?

Oui, il y en a eu quelques unes. Certains studios nous ont démarché mais cela ne convenait pas avec nos méthodes de travail et ma philosophie. 

Marvel Studios, par exemple ?

(Rires) Non, pas Marvel.

Vous ne voulez pas citer de noms ?

Pas vraiment... Cela n’a pas d’importance maintenant.

Parlez-moi plutôt de Chuck Hank and the San Diego Twins. Son développement a mis énormément de temps et nous n’avons plus de nouvelles depuis. Le verra-t-on un jour ?

En réalité… On l’a terminé il y a deux jours ! [L’interview avec le cinéaste a été réalisée au début du mois de novembre, ndlr]

Comment cela se fait ? Une bande-annonce était pourtant sortie en janvier 2017…

Oui, c’est vrai. On avait balancé de premières images relativement tôt. C’était surtout une manière pour nous dire que le film existait. De nous motiver à le finir aussi car sa création a été compliquée. C’est un film d’action, basé sur les jeux vidéo de notre jeunesse, les 'beat them all' [comme Double Dragon ou Streets of Rage, ndlr]. Sa conception a pris beaucoup plus de temps que prévu. Récemment nous avons fait des reshoots et voilà : il est enfin terminé. C’était colossal mais on y est arrivé tout en restant fidèles à notre philosophie de travail même si ça a pris du temps. C’était nécessaire.

Et vous visez quelle genre de sortie : en salles, sur Internet, via Netflix ?

Pour l’instant, je ne sais pas encore. On doit y réfléchir. Ce qui est sûr c’est que nous voulons trouver le moyen qu’il soit vu par le plus grand nombre. Une sortie classique en salles serait idéale mais parfois les choses sont plus compliquées.

Justement, six mois après la bande-annonce de Chuck Hank, vous lanciez un Patreon. Pouvez-vous expliquer ce que c’est et en quoi cela est bénéfique pour Coatwolf Productions ? 

C’est génial. Il s’agit d’une plateforme sur laquelle nous postons notre travail, des extraits exclusifs, de vidéos making-of… On a même une émission Web-TV. Cela nous permet de travailler de notre côté, de recevoir aussi des financements de la part de fans qui sont devenus des abonnés.

 


 

Parlez-moi de votre nouveau film, Canary.

Il n’est pas encore fini.

J'en déduis donc que vous ne voulez ou ne pouvez pas en parler ?

(Rires) Exactement !

Tout comme Chuck Hank, vous avez dévoilé un teaser en 2017 qui laisse penser qu’il s’agit de l’autre face de Bellflower.

(Pensif) Oui… C’est intéressant de voir Canary comme ça. C’est effectivement une histoire d’amour mais elle diffère de celle de Bellflower. Bellflower c’était un premier amour qui ne marche pas puis débouche sur une rupture douloureuse. Canary c’est l’histoire d’un couple plus mature qui essaie de retrouver les sentiments du début, ils veulent réparer leur couple; faire perdurer leur relation. Mais je ne veux pas en dire davantage, je dois continuer à travailler dessus.

En fait, vous êtes un réalisateur très romantique…

(Rires) C’est possible ! Après, c’est drôle car je ne voulais plus du tout faire d’histoire d’amour après Bellflower. Je ne voulais pas refaire le même film, m’enfermer dans une zone de confort.

J’ai surtout l’impression que même s’il s’agit d’une nouvelle histoire d’amour, tout comme Bellflower, l’emballage du film va montrer autre chose. Ce n’est pas une romcom traditionnelle.

Non, du tout. Canary est un film très complexe. Cela mélange de la science-fiction et de l’horreur, il y a un côté fantastique aussi mais sur fond d’histoire de couple.

Qu’en est-il de la désormais implication du studios des frères Russo, réalisateurs d’Avengers - Endgame ?

C’est une chance pour nous. Au départ, j’avais démarché un grand nombre de sociétés de production pendant sept ans et aucune, strictement aucune, n’était intéressés par le projet. Puis c’est arrivé comme ça : les frères Russo ont porté de l’intérêt à Canary et ils sont montés dans le wagon.

Vous qui êtes un cinéaste indépendant et radical, vous n’avez pas peur de vous faire engloutir par la grosse machine ?

Ce n’est pas la première fois qu’on me le demande… J’avoue de ne pas avoir pensé à ça avant et ne toujours pas y penser. On a toujours bataillé pour trouver l’argent pour faire nos projets. C’était parfois vraiment galère. Je pense que travailler avec les frères Russo peut nous donner la visibilité dont nous avons besoin.

La suite pour Coatwolf et vous, c’est quoi ?

J’aimerais produire plus. J’ai également un autre projet en préparation mais celui-ci je ne peux vraiment pas en parler. J’ai tiré les leçons de ces dix dernières années, je veux faire mon travail correctement et amener quelque chose d’important au monde. Et pour ça il me faut… du temps.

 

- Propos recueillis par François Rieux