Napoléon
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Lorris Chevalier, historien français, a accompagné le cinéaste britannique durant toute la production de son biopic épique. Il nous explique pourquoi s'arrêter sur chaque détail historique n'a aucune sens.

C'est déjà son deuxième film avec Ridley Scott. Lorris Chevalier, docteur en histoire médiévale, a rencontré le réalisateur en 2020, alors que le cinéaste préparait le tournage du Dernier Duel en France, dans le Château de Berzé, en Bourgogne. D'abord documentaliste, pour aider aux costumes et aux décors, l'historien de 29 ans s'est fait une place sur le plateau. Devenu conseiller historique à plein temps, il a été recontacté par Ridley Scott, lorsque celui-ci a commencé à plancher sur Napoléon, sa grande fresque historique, qui sort ce mercredi au cinéma en France, avec Joaquin Phoenix dans le rôle de l'Empereur.

Ridley Scott et Joaquin Phoenix sur le tournage de Napoléon
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Que vous a dit Ridley Scott au départ, quand il vous a parlé de son idée de faire un film sur Napoléon ?
Lorris Chevalier
: Il m'a dit qu'il voulait axer son film Napoléon et Joséphine. Il m'a demandé de l'accompagner, et du coup, j'ai travaillé une année entière sur le sujet. J'ai potassé Napoléon. Je le connaissais en tant qu'historien, évidemment, mais j'ai étudié toute sa vie en détail, pour pouvoir conseiller Ridley, les acteurs, le script...

Qu'est-ce que vous avez apporté au scénario écrit par David Scarpa ?
C'est surtout au niveau des enjeux. Pour expliquer les motivations des protagonistes. Les batailles sont l'interprétation de Ridley Scott, mais il a fallu expliquer les tenants et les aboutissants aux membres de l'équipe qui ne comprenaient pas toujours. La période napoléonienne est ultra-complexe, politiquement. Je me retrouvais ainsi à faire de petits cours d'Histoire. On faisait des réunions sur le plateau, pour décrypter le Coup d'État du 18 Brumaire par exemple. A partir de là, ils repensaient les scènes, en faisant quelque chose de plus condensé, avec l'idée de faire comprendre ces enjeux en 2 minutes.

Napoléon
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Comment avez-vous travaillé le rôle avec Joaquin Phoenix ?
Quand les acteurs voulaient modifier leurs lignes de dialogues, j'étais là pour donner de la matière, apporter du contexte. Napoléon était un personnage très complexe. Et en amont du tournage, la production m'avait demandé de faire une petite promenade en immersion avec Joaquin et Vanessa (Kirby). On a visité les lieux emblématiques de Napoléon à Paris, pendant deux jours. On a été au Château de Malmaison (acquis par Joséphine de Beauharnais en 1799), on a été aux Invalides (là où se trouve le Tombeau de Napoléon 1er) pendant 3 heures et demi au Musée, à scruter chaque objet, pour essayer de s'imprégner de l'Histoire. Ce qui intéressait Joaquin, c'était de voir le côté social du personnage. En quoi Napoléon était aussi un homme du peuple, adoré par ses troupes. Il n'avait pas trop l'image du dictateur que peuvent avoir les Américains parfois. Il voulait creuser, aller plus loin. Il avait une approche plus vaste et il a beaucoup bossé la question. Il était fasciné par exemple, par l'insurrection corse menée par Pascal Paoli, contre la République de Gênes, et qui a conduit au rattachement de l'île à la France. Il faut avoir en tête qu'à un an près, Napoléon ne naissait pas en France (La Corse a été rattachée au Royaume de France en 1768, Napoléon Bonaparte est né à Ajaccio en 1769, NDLR) ! Joaquin aime l'Histoire, mais attention, il a une approche d'acteur. Il utilisait tout ça pour son personnage.

Napoléon Joaquin Phoenix
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Vous étiez sur le tournage, pour guider les séquences de bataille ?
Oui, même si j'ai tout de suite compris, par exemple, que la bataille d'Austerlitz, dans le film, n'allait pas être la réalité de la bataille d'Austerlitz. Mais plutôt un grand exploit visuel. Là, il faut laisser faire le Maestro. Il faut laisser l'artiste à sa musique. Surtout, je crois en tant qu'historien, qu'il ne faut pas avoir une vision trop stricte de l'Histoire. Je vois des gens qui s'énervent, râlant sur le placement des médailles ou autre. Il faut bien se rendre compte que la vision qu'on a de l'Histoire vient des tableaux, des ces objets officiels. Ce n'est pas la réalité de la vie quotidienne. Il faut arriver à prendre de la distance. Il faut se débarrasser de ce prisme, dépasser le cliché du Napoléon à cheval. C'était un homme norm0al, un homme de son temps, que Ridley Scott montre dans son quotidien - notamment dans la version longue du film, qu'on verra un jour j'espère...

00Mais quand Ridley Scott montre les canons de l'armée impériale qui tirent sur les pyramides, est-ce que ce n'est pas prendre trop de distance pour le coup ?
Bien sûr que ce n'est pas vrai. Ils n'ont pas tiré sur les pyramides. Mais c'est une manière de condenser une Histoire complexe, celle de l'Egypte, occupée par les Turcs, soutenus par les Anglais. Quand Napoléon arrive pour "libérer" le pays, ses soldats sont accueillis comme des croisés par ces Turcs. D'ailleurs, au départ dans le script, ils criaient "Allah Akbar". Ridley trouvait ça trop simpliste. Alors il m'a demandé autre chose et on leur fa0it dire finalement : "Almawt alsalibiiyn", ce qui veut dire "Mort au Croisés" ! Après, ils savent très bien, quand il font tirer au canon sur les pyramides, que ce n'est pas historiquement vrai. Mais pour montrer la campagne d'Egypte, c'est plus clair comme ça. Il y a une volonté presque burlesque derrière. On tire sur les pyramides. Le Chef tombe. Et la bataille est gagnée.

Napoleon
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Vous comprenez que ça puisse quand même agacer ?
Ceux qui tiquent sont des fans de Napoléon qui déifient presque l'Empereur. C'est facile de critiquer un film historique. Moi, en tant qu'historien, je peux passer 6 heures à analyser n'importe quel film historique et pointer du doigt tout ce qui ne va pas. Mais c'est une façon de se flatter soi-même en fait. Il y a beaucoup de choses qui ne sont que des détails pas vraiment importants, tant que ça fait avancer l'histoire du film, le scénario. Non, Napoléon n'a pas du tout tiré sur les pyramides. Au contraire d'ailleurs, il tenait plutôt à préserver les trésors de l'Egypte. Mais l'idée de Ridley Scott était de montrer la supériorité du personnage, dans les pas d'Alexandre le Grand. Il se rêvait comme ça. Ridley est un fan absolu d'Histoire. Mais entre légende et Histoire, quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende !

Vous pensez comme Ridley Scott que "les Français ne s'aiment pas eux-mêmes" ?
Oui je suis totalement d'accord. Bon, Napoléon n'avait pas de problème avec ça... il s'aimait lui-même énormément (rires). Mais c'est vrai qu'il y a une pudeur des Français face à leur propre histoire, que j'ai du mal à comprendre. Maintenant, Ridley le savait. Il me demandait souvent durant le tournage comment, nous, en France, on percevait Napoléon. Et je lui expliquais qu'il était vu à la fois comme un homme providentiel et comme un homme dangereux...