Un long dimanche de fiançailles
Warner Bros/Première

Après le succès d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet offre un nouveau beau rôle à Audrey Tautou dans Un long dimanche de fiançailles, en 2004. Elle est Mathilde, la fiancée de Manech (Gaspard Ulliel), porté disparu au combat pendant la Première guerre mondiale. Persuadée qu’il n’est pas mort, elle décide de partir à sa recherche.

A l'occasion de la rediffusion du film, sur France 3, nous republions quelques extraits de l'interview du réalisateur dans Première (n°332, avec Audrey Tautou en couverture). Au micro de Christophe Narbonne et Nicolas Schaller, Jeunet revenait sur ses obsessions. 

Audrey Tautou - Un long dimanche de fiançailles : "Je m’y suis retrouvée dans cette fille"

DANS LE DOMAINE DE L’ÉMOTION, JE FUIS LA FACILITÉ

« Avec Un long dimanche de fiançailles, le danger de tomber dans le mélo démonstratif existait. Pour ma part, je préfère La Leçon de piano à Dancer in the Dark. Je trouve qu’une scène est réussie quand l’émotion est contenue, comme à la fin du film. Je fuis la facilité. Idem pour l’humour. Le coup de pied au cul qui fait tomber le mec dans la piscine, non merci! Dans Delicatessen, la scène où, la grosse dame tire sur la chasse d’eau et se la prend sur la gueule faisait hurler de rire les salles. J’en ai toujours eu honte. C’est un gag facile et merdeux. »

MON GOÛT DES VIEUX OBJETS RÉPOND À UN CHOIX ESTHÉTIQUE 
« Vous ne trouvez pas, vous, qu’une boîte de biscuits des années 50 est plus bandante qu’un paquet de Lu d’aujourd’hui? Pareil pour les fringues ou les bagnoles. Là-dessus se greffe le plaisir de jouer sur les décalages. Dans Delicatessen, je filmais une télécommande dans un univers années 50. Quand on vient de l’animation comme moi, c’est le genre d’anachronismes qu’on aime. On va encore sûrement me reprocher l’esthétisme du film. Mais je ne lis jamais une seule critique sur la laideur des films français. C’est pourtant le cas de la majorité d’entre eux! Aujourd’hui, j’ai envie d’une autre forme d’esthétisme, de musiques plus modernes. Je pourrais très bien réaliser un film futuriste comme Bienvenue à Gattaca [Andrew Niccol, 98]. Récemment, j’ai été très impressionné par Collateral, de Michael Mann. Je n’avais jamais vu Los Angeles filmé de cette manière. »

JE REVENDIQUE À FOND LA NOSTALGIE,  JE N’EN AI PAS HONTE
« Un jour, j’étais dans ma voiture et une durite sentait le chaud. Exactement la même odeur que mon vieux projecteur super-8... Ça n’a rien à voir avec le fait de vivre dans le passé ou de se complaire dans le “c’était mieux avant”. C’est une forme de petit plaisir de la vie, un mélange de tristesse et de bonheur. On a tous ça en nous. »

J’AI TOUJOURS ÉTÉ ATTIRÉ PAR LES GENS UN PEU EN MARGE, LES «MONSTRES»
« J’adore Freaks, de Tod Browning... Mathilde est décalée, tout comme l’était Amélie. Elle est seule contre tous – ça aurait fait un bon titre. Son obstination est magnifique. En revoyant le film, je trouve que la résolution de l’histoire d’amour compte moins que sa victoire personnelle. Je crois plus à l’individu qu’au groupe. »

LE VERT ET L’OCRE SONT LES COULEURS CARACTÉRISTIQUES DE MES FILMS
« Dans Un long dimanche de fiançailles, les dominantes sont sépia, comme les photos d’époque. Notre référence, avec mon directeur photo Bruno Delbonnel, c’était Le Parrain 2, en particulier les somptueuses scènes de flash-back. Quand je revois le DVD du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain qu’ils ont réalisé en mon absence – et raté – , je
trouve le rendu moyen. Ça pète de partout. »

JE CROIS À LA VERTU DU TRAVAIL, DE L’ARTISANAT 
« Mettre en scène, c’est comme poncer, vernir, re-poncer, re-vernir... Le story-board sert à ça. On réécrit quinze fois le scénario, puis il y a un premier story-board qu’on corrige, qu’on remodifie... Quand arrive le tournage, je filme d’abord les scènes tirées du story-board au Caméscope, dans le décor et avec des doublures. Si je trouve mieux, je
change tout. Je pousse aussi les acteurs à me proposer des choses. Il m’arrive même de travailler sur des impros. Par exemple, dans la scène de la rencontre entre Jodie Foster et Jérôme Kircher, j’allais souffler une réplique à l’un sans prévenir l’autre. » 

QUAND JE REVOIS MES FILMS,  JE NE REMARQUE QUE LES DÉFAUTS
« Il me faut plusieurs mois pour réussir à les apprécier comme n’importe quel spectateur. Dans Un long dimanche..., Manech se prend une balle dans la main. Quand il fait “Aaarghhh”, la postsynchro est un peu trop fort. Eh bien, je ne suis pas loin de me dire que j’ai raté le film. »

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