Lingui, les liens secrets de Mahamat-Saleh Haroun
Pili Films/Mathieu Giombini/ Ad Vitam

Huit ans après Grigris, le retour en compétition du tchadien Mahamat-Saleh Haroun déçoit mais a tout pour figurer au palmarès.

Spike Lee l'a expliqué en début de festival. Son penchant naturel de Président du jury ira vers des films qui questionnent et bousculent notre monde. Traduction : des films aux sujets politiques forts. Et à voir le cinéaste sortir hier de son devoir de réserve pour venir saluer un par un les membres de l'équipe de Lingui à l'issue de la projection officielle, on peut raisonnablement penser que le film de Mahamat-Saleh Haroun a touché pile dans sa cible. Et parier sans grand risque qu'il rejoindra la longue liste des films à sujets primés dans l'histoire du festival

Car le sujet ou plutôt les sujets que traitent ici le cinéaste tchadien sont indéniablement forts et essentiels. Lingui dénonce la condition des femmes tchadiennes dans un pays où l'Islam radical règne en maître au quotidien. On y suit une fille- mère regardée avec mépris par sa communauté et sa propre famille qui a rompu les ponts avec elle. Sa fille de 15 ans qui tombe enceinte et se voit contrainte à un parcours du combattant toujours plus humiliant, toujours plus dangereux pour parvenir à se faire avorter. Et sa soeur qui, elle, tente de protéger sa petite fille d'une excision. Ces sujets rendent de fait le film inattaquable et ce d'autant plus que Mahamat-Saleh Haroun s'en empare avec une sincérité et un engagement qui forcent le respect.

Mais se confronter à de tels sujets fait aussi courir le risque de s'en contenter. De ne pas chercher à les transcender pour ne pas les trahir et être bien sûr que le message passe sans interférence. Voilà tout le problème de Lingui. A la différence par exemple du récent Père de Nafi, le formidable film de Mamadou Dia - qui racontait, lui, la montée de l'extrémisme radical au Sénégal, Lingui manque cruellement de cinéma. Dans son récit trop programmatique comme dans sa direction d'acteurs vraiment inégale. On attend tout au long du récit que Mahamat-Saleh Haroun le transcende, qu'il se serve de son point de départ pour déployer un geste aussi puissamment cinématographique que politique. A l'image de ce qu'on a pu voir il y a deux jours avec Le Genou d'Ahed de Nadav Lapid. Quitte à agacer. Quitte à diviser. Mais rien ne se produit. Ou plutôt tout ce qu'on devine par avance se produit au moment où se doutait que cela se produirait.

L'émotion est évidemment présente, il faudrait avoir le coeur sec pour ne rien ressentir face aux obstacles rencontrés par ses protagonistes. Mais cela ne suffit pas à en faire un grand film. Juste à cocher beaucoup de cases pour figurer au palmarès. Réponse le 17 juillet prochain.