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Avec ce qui s’annonce comme le carton de Man of Steel (le film démarre mieux qu'Iron Man 3 en France), Superman semble de retour pour de bon au cinéma. Le film de Zack Snyder pourrait ainsi faire oublier près de vingt ans de development hell pendant lesquels on a cru que l'homme d'acier était perdu pour les salles obscures. Parmi tous les projets de résurrection de Supes, le Superman mort-né de Tim Burton est le plus célèbre et l’un des pivots des tentatives de sa résurrection ciné. Il trouve ses racines en 1987, avant même que le réalisateur d'Edward aux mains d'argent ne s'attaque à Batman. Réécritures multiples, direction artistique aléatoire, argent jeté par les fenêtres :  le rendez-vous manqué de Superman Lives permet de comprendre pourquoi et comment il a fallu attendre vingt ans pour revoir Clark Kent sur grand écran.

Les multiples morts de Superman
Suite au flop critique et public de l’affreux Superman 4 en 1987 produit par la Cannon Films des cousins Golan/Globus (boutiquiers d'actioners bis : Delta Force, The Punisher, Portés disparus...), l'homme d'acier entame une longue traversée du désert. Quand la Cannon fait faillite au début des années 90, les droits d'adaptation de Superman reviennent alors aux producteurs Salkind, artisans des deux premiers Superman. Ilya, le fils, écrit un cinquième Superman dans lequel Clark devait mourir puis ressusciter sur Krypton. Son Superman 5 ne vit jamais le jour, et en 1993, le studio Warner récupère les droits de Superman suite au succès de la série de comics La Mort de Superman. C’est le producteur Jon Peters qui va aliors tenter de mettre sur pied un nouveau film. Il engage Jonathan Lemkin (auteur sur la série 21 Jump Street) pour écrire un Superman Reborn dans un style très "génération MTV", raccord avec le Batman Forever alors produit en parallèle : Superman devait mourir et se réincarner dans son fils pour sauver le monde. Peu satisfait du script, Peters embaucha le débutant Gregory Poirier pour réécrire le scénario. Poirier introduit le grand méchant Brainiac (un androïde alien psychopathe apparu dans les BD) et fait intervenir le super-assassin Doomsday afin de tuer l'homme d'acier. Dans toutes ces versions, la même idée générale : Superman devait mourir pour mieux ressusciter sur grand écran. En août 1996, Peters se tourner vers Kevin Smith -alors auréolé du succès de son premier film indé Clerks - pour réécrire Superman Reborn. Peters envisage alors sérieusement de rebooter totalement Superman, notamment en lui ôtant la capacité de voler et en le dotant d'une costume entièrement noir... Mais, en producteur avisé, Peters veut aussi introduire des personnages vite déclinables en jouets, comme un sidekick robot de Braniac, l'androïde kryptonien Eradicator et un "chien de l'espace" façon Chewbacca. Question comédien, après avoir vu La Dernière marche, Peters souhaite que Sean Penn devienne son Superman car le héros devait être "un putain de tueur". Désormais intitulé Superman Lives, et racontant la mort/résurrection du héros, le scénario de Smith est en quête d'un réalisateur.

Tim Burton Attacks
Peters se porte d’abord sur Robert Rodriguez, mais le Mexicain travaille déjà sur The Faculty. Smith aurait alors suggéré le nom de Tim Burton  : le réalisateur des premiers Batman, qui venait de connaître un échec au box-office avec son film d'invasion alien parodique Mars Attacks !, signe un contrat de 5 millions de dollars. Et surtout, Nicolas Cage est embauché pour tenir le rôle de Superman -une idée de Burton, qui considère que seul Cage pouvait être crédible à la fois en super-héros et en Clark Kent. En 1989, Burton avait déjà déclenché l'ire des fans en engageant Michael Keaton pour jouer Bruce Wayne. La date de sortie de Superman Lives a été fixée à l'été 1998, soit pour le soixantième anniversaire de la première apparition du super-héros dans les pages d'Action Comics. Juin 1997 : la pré-production de Superman Lives commence officiellement. Burton engage aussitôt Wesley Strick (Les Nerfs à vif de Scorsese) pour réécrire le script de Smith. Strick, qui avait déjà finalisé le scénario de Batman, le défi pour Tim Burton, invente un nouveau méchant : Lexiac (ou Luthiac, selon les sources) une fusion entre Brainiac et Lex Luthor. Pendant ce temps, Rick Heinrichs, collaborateur régulier de Burton, dirige le département artistique avec pour mission principale de ne pas se référer à l'esthétique préexistante de l'univers de Superman : Jon Peters aurait paraît-il fait visiter les ateliers à des enfants, qui devaient juger les dessins des personnages et des véhicules afin de savoir lesquels pourront être transformés en jouets.

Un magasin de jouets à 190 millions
Les croquis originaux de Tim  Burton promettaient un Superman mort-vivant entre le Caesar du Cabinet du Docteur Caligari et Edward aux mains d'argent :Tandis que son Brainiac fait penser aux aliens de Mars Attacks :A contrario, les croquis du dessinateur Rolf Mohr (Men In Black 2, Jurassic Park 3) laissent en effet envisager un traitement très pop et très comics 90's des personnages :"Hasbro (le fabricant de jouets, NDLR) m'a donné des personnages et des véhicules à concevoir", se rappelait Rolf en 2003, confirmant ainsi les directives "vendons des jouets" du projet. "J'ai aussi dessiné différentes variantes pour la tenue d'Eradicator : façon armure pour l'échelle humaine, et façon "interceptor" quand la tenue se transformait en véhicule. Pour les designs le mot d'ordre était de donner un look imposant, monumental -avec comme influences l'expressionisme et les premiers futuristes italiens..." Nicolas Cage fait des essais de costume, redessiné pour l'occasion : bleu très sombre, cape rouge sang et un symbole S plus agressif. Pendant ce temps, les rumeurs habituelles de casting virevoltent : on évoque Kevin Spacey en Lex Luthor, Tim Allen ou Jim Carrey en Brainiac, Courteney Cox en Lois Lane... Et Michael Keaton dans un rôle qui restera à jamais mystérieux -on fantasme bien sûr un caméo de Batman. Mais Warner trouve que le script de Strick est trop cher (on parle d'un budget de 190 millions) et Dan Gilroy (le film de SF Freejack) est chargé de pondre un scénario pour un film coûtant 100 millions de dollars maxi. GIlroy rajoute une introduction montrant la destruction de Krypton par Brainiac et l'abandon de Superman sur la Terre, ainsi qu'un épilogue où l'on apprend que Lois Lane est enceinte du fils du héros. Mais rien n'y fait. En avril 1998, peu satisfait du scénario et voyant que le film allait coûter très cher quoi qu'il arrive, Warner décide de suspendre Superman Lives. 30 millions de dollars ont été dépensés et rien n'est montrable à l'exception des croquis. Burton s'en va aussitôt réaliser pour la Paramount le conte gothique Sleepy Hollow avec Johnny Depp, empochant au passage les 5 millions de dollars garantis par son contrat en cas d'abandon de Superman Lives.

Le faux retour de Superman
Le film Superman s'envole vers d'autres cieux : en 1999, Peters, nanti d'un nouveau script signé William Wisher (Terminator), cherche alors à confier le bébé à Brett Ratner (qui quittera le projet suite à des désaccords sur le casting). En 2000, nouveau siècle et nouveau scénario de Paul Attanasio (Donnie Brasco) : sans succès. En 2002, J.J. Abrams attaque un nouveau sujet (intitulé Superman Flyby, et très orienté space opera avec une guerre civile sur Krypton) pour Brett Ratner. Tandis qu'Andrew Kevin Walker (Seven, Sleepy Hollow) pitche un Superman Vs. Batman que voudrait bien réaliser Wolfgang Petersen et qui restera un fantasme. Ratner quitte Flyby pour Family Man (avec Nicolas Cage) et McG (Charlie et ses drôles de dames) le remplace avant de se faire remercier en 2004. Peters est alors séduit par le projet de Bryan Singer -faire une suite à Superman 1 et 2, oublier le 3 et le 4 avec la bénédiction de Richard Donner. Feu vert de Warner. En 2006, Superman Returns débarque sur les écrans sur la base d’un script de Michael Dougherty et Dan Harris (X-Men 2): le film peut être considéré comme l'ultime incarnation de  Superman Lives , étrange et élégant testament référentiel où l'on sent frémir l'ambition originelle du projet (Superman disparaît au début du film, on y voit son fils, Kevin Spacey joue Lex Luthor) mais laisse clairement un sentiment d’inachevé. Comme au box office : Returns ne récolte que 391 millions au box-office mondial, malgré son budget énorme de 204 millions. Vu ce résultat en demi-teinte, Warner annule la suite annoncée pour 2009. Par pure coïncidence, le film sort dix-neuf ans après Superman 4, dont la dernière réplique de Clark à Lex était  "See you in twenty". Effectivement.

"L'une des icônes les plus précieuses de notre pays"
Le Superman Lives a clairement été plombé par son absence de direction artistique : les multiples errements des scénarios montrent que personne ne semblait avoir une idée claire de ce à quoi devait ressembler le film. Simple suite, conclusion de la saga, reboot, mash up avec Batman ? Tout devait changer pour la Warner avec Christopher Nolan. En 2005, son Batman Begins modifiait à jamais  le visage du film de super-héros. C’est cela qui sert de modèle à Man of Steel, dont le développement commença en 2008. Mission : faire repartir le personnage à zéro, créer une nouvelle franchise sans s'écraser face à la mythologie du comics. Avec le recul, Nicolas Cage pense (assez confortablement) que le Superman Lives de Tim Burton aurait pu être un chef-d'oeuvre. "Tim et moi étions bien avancés dans le design de Superman Lives, et je sais qu'avec ce que nous comptions faire, ça aurait été quelque chose de vraiment unique", s'est rappelé l'acteur en mars 2013. "Je pense que j'étais dans une situation gagnant-gagnant. Parce que ce personnage est une espèce de gros lot : tu te dois de l'emporter. Superman est l'une des icônes les plus précieuses de notre pays."  A la naissance de son fils cadet en 2005, Cage lui a donné le prénom de Kal-El -faisant étrangement écho au premier script de Superman Reborn où le héros se réincarne en son fils. Les scripts se transforment, se réécrivent ; et les films naissent dans la douleur. Mais les héros, protégés au coeur de l'imaginaire, ne meurent jamais.

Sylvestre Picard