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La série HBO va piocher profondément dans les codes du gaming. Pour mieux critiquer nos habitudes de joueurs et de spectateurs ?

Du point de vue des visiteurs, Westworld se résume en gros à ça : une expérience du Far West plus vraie que nature dans un espace de plusieurs hectares, peuplé par des intelligences artificielles extrêmement sophistiquées, à la fois moteurs de l’intrigue et punching-balls vivants. Bref, un jeu vidéo à monde ouvert sans l’interférence de l’écran. Les showrunners Jonathan Nolan et Lisa Joy ne s’en cachent pas, ils ont joué des heures et des heures à Red Dead Redemption, GTA et Bioshock pour réussir à s’approcher de leurs schémas narratifs. Le personnage du scénariste de Westworld, chargé d’écrire les histoires auxquelles peuvent participer les visiteurs, peut d’ailleurs aussi bien être vu comme un alter ego des créateurs de la série que comme un auteur au sein d’un studio de développement.

« Dans le premier épisode, un bug commence à faire déconner les androïdes. Très vite, un braquage de banque leur permet de se débarrasser des personnages non-joueurs qui posent problème. Ce sont des ficelles narratives propres au jeu vidéo », analyse Aymar Azaïzia, responsable de la marque Assassin’s Creed chez Ubisoft. « Et la fantaisie d’évasion dans un univers parallèle, dans lequel on a beaucoup moins de barrières et de limites, est déjà assez proche de ce qu’on peut proposer ». 

L’open world et les mondes persistants

Personnages non-joueurs , choix de l’intrigue, carte immense, scènes de shoot, échappatoire à la réalité… Les codes du jeu sont présents à l’écran comme rarement dans une série télé, profondément ancrés. « Dans la structure, il a une narration déjà préparée à l’avance. Les capacités d’improvisation des personnages non-joueurs qui sont là pour faire exister le monde en continu, ce sont vraiment des choses qui nous parlent », explique-t-il. « C’est très proche des jeux open world (NDLR : à monde ouvert, qui laissent une grande liberté dans les déplacements) comme Assassin’s Creed et GTA, mais c’est également très similaire à qu’on peut trouver dans des jeux à mondes persistants (NDRL : qui continuent d’exister même sans le joueur). Les références et les univers sont clairement là ». Un rapprochement d’un médium à l’autre qui, selon lui, serait en partie lié à la démocratisation massive du jeu vidéo et à l’avènement de la culture geek (« Michael Crichton, qui a réalisé le film Mondwest, était d’ailleurs un grand représentant de la cause »). Culture dans laquelle Westworld pioche allègrement, tout en poussant les curseurs au maximum pour mieux s’imposer en reflet d’un possible futur, où l’on s’immergerait entièrement dans un autre monde. 

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La liberté et la personnalisation de la narration

En termes de liberté offerte aux visiteurs, Westworld surpasse largement ce que le jeu vidéo peut vraiment se permettre. Il faut garder le contrôle, d’une façon ou d’une autre, ou bien la pagaille commence à s’installer dans la narration. Comme quand le scénariste se fait surprendre par la réaction inattendue d’un joueur dans l’épisode 1. « Quand on laisse la liberté totale au joueur, sans aucune règle, on est dans ce qu’on appelle un système émergent. On laisse la simulation vivre par elle-même, le joueur fait ce qu’il veut et affronte les conséquences. Le problème, c’est que la capacité à prendre du plaisir devient alors extrêmement aléatoire. La difficulté, c’est de donner l’illusion de la liberté totale au joueur, tout en ayant certaines contraintes qui permettent de s’assurer que le monde reste cohérent », résume Aymar Azaïzia. Le joueur fait ce qu’il veut, mais il faut à un moment donné trouver des techniques pour le ramener dans la trame principale et continuer de faire avancer l’histoire. « Toute la difficulté est de trouver l’équilibre entre un monde qui propose des missions qui vont faire avancer, et ce sentiment de liberté totale qu’on veut donner au joueur ».  

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Dans Westworld, celle-ci passe une scénarisation très individualisée du quotidien des visiteurs. Aucun d’entre eux ne vit la même expérience au jour le jour. Pas anodin : « Il y a probablement quelque chose qui vient de l’émergence des casques de réalité virtuelle et des nouveaux moyens de narration qui tendent à proposer quelque chose de plus en plus personnalisé, impliquant ».

La question de la morale

Si la série est une « reconnaissance » de la télévision envers les jeux vidéo et ceux qui les font, il faut également la voir comme une forme de critique frontale du comportement des joueurs vis-à-vis de la violence. À l’exception notable de William, la plupart des visiteurs viennent à Westworld pour se défouler sur les androïdes (meurtres, viols…). Les plus viles pulsions de l’humanité s’assouvissent dans le parc, sans aucune autre conséquence qu’un nettoyage et une remise à zéro des machines. Le questionnement moral est permanent, la série nous mettant face à voyeurisme et à nos instincts nauséabonds de spectateurs et de joueurs. Avec l’espièglerie de le faire sur la chaîne HBO, qui diffuse la sulfureuse Game of Thrones. Des notions d’éthique qui s’appliquent également au jeu vidéo, dont les titres les plus violents sont régulièrement attaqués pour leur propension supposée à inciter au passage à l’acte dans la vie réelle. 

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Aymar Azaïzia : « Notre série de jeux s’appelle Assassin’s Creed, donc il est clair que des gens vont mourir. Mais les cibles sont choisies de manière très précise. Quelqu’un fait quelque chose d’extrêmement mal, tu as l’occasion de le tuer et l’effet de catharsis est assez immense. Tu ne tues pas la personne de loin, tu la tues les yeux dans les yeux. Et il se passe ensuite quelque chose qui est propre à nos jeux : on se retrouve dans une pièce de lumière blanche et il y a un dialogue avec la personne que tu viens de tuer, et qui t’explique pourquoi elle méritait de mourir. On essaie de mettre l’emphase dessus, parce que la question de la morale, on se la pose évidemment. Mais tout le monde se la pose dans le jeu vidéo : c’est lié à la fantaisie de l’univers que tu souhaites mettre en place. Si on veut créer un Scarface like, il est certain que la fantaisie du personnage sera bien différente ». Et la liberté accordée au joueur plus ou moins importante.  

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Le cas de « l’homme en noir » de Westworld, incarné par Ed Harris, est un peu à part. Il est l’équivalent d’un hardcore gamer qui aurait écumé des heures et des heures le dernier GTA, désormais à la recherche de l’ultime easter egg planqué quelque part sur la carte. Ce potentiel bonus qui fait encore vibrer le personnage est un jeu dans le jeu, sorte de niveau caché seulement accessible aux mieux informés. Et pour y arriver, il tuera, torturera et violera les androïdes autant qu’il le faudra. Sans remords et avec un passe-droits accordé par les créateurs du parc.

Mais l’idée du joueur qui dézingue les piétons comme si de rien n’était serait fausse, ou presque, selon Aymar Azaïzia : « Les statistiques auxquelles on a accès nous disent que c’est en fait une minorité de joueurs. La plupart des gens utilisent la simulation comme une pure simulation. Souvent ce qui passe, c’est qu’une situation dérape, les policiers arrivent, le joueur finit par se faire tuer et reprend ensuite la partie là où elle s’était arrêtée. Il n’y a pas d’apologie de la violence gratuite dans GTA : la police existe, il y a des règles à respecter dans le jeu, quand on les enfreint il y a des conséquences, qui en général ne sont pas positives pour les joueurs. Dans Assassin’s Creed, on se fait désynchroniser si on tue trop de passants. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi… même si la liberté laissée aux protagonistes de Westworld est assez importante (rires)». Reste à voir si les choses finiront par se payer aussi cher dans la série que dans le monde du jeu vidéo.

Westworld est diffusée chaque dimanche sur HBO et 24 heures plus tard en France sur OCS.