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Critique de l’épisode 7.13 de la série Mad Men, "The Milk and Honey Route" (spoilers). 

Le dernier plan de l’épisode 12 montrait la voiture de Don Draper filer sur une route ensoleillée au son de David Bowie. On ne s’étonne donc pas de retrouver dans The Milk and Honey Route le héros de Mad Men continuer à déambuler de motel en motel dans les zones rurales du Kansas et de l’Oklahoma, guidé par son envie d’échapper à ses activités new-yorkaises et désormais affublé de chemises à carreaux décontractées. Se rapprochant peu à peu d’un effacement identitaire, voire d’une dématérialisation de ses envies, le personnage ressent bien un semblant d’émotion à la vue d’une femme qui bronze en bikini au bord d’une piscine : cette vision peut rappeler l’épisode 2.11, The Jet Set, où Don se baignait en Californie avec la jeune et oisive Joy, ou l’épisode 3.08, qui se déroulait en partie à Rome (la dame en maillot de bain lit ici The Woman of Rome d’Alberto Moravia) et offrit au couple Don/Betty une courte parenthèse apaisée. Mais cet appel à la volupté est interrompu par la famille de la belle inconnue, dans un brusque retour du réel qui donne l’impression qu’il est temps pour Don d’oublier son glorieux passé de publicitaire charmeur et de revenir à une forme de vagabondage correspondant davantage à ses jeunes années vécues sous le nom de Dick Whitman. La confusion entre Dick et Don revient de fait à grands pas dans cet avant-dernier épisode de la série. Se laissant porter au coeur de l'Amérique profonde, notre héros se retrouve ainsi à une collecte de fond de vétérans de l’armée où il sera sommé d'évoquer ses souvenirs de la guerre de Corée (époque où il s’empara du nom de Donald Draper suite à la mort de son camarade de combat). A deux doigts de révéler son secret, le publicitaire paraît surtout flotter entre différents âges durant cette longue séquence qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère désenchantée d’un film comme Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino (l'intrigue de Mad Men prenant maintenant place dans la deuxième partie de l'année 1970, son esthétique emprunte davantage aux classiques cinématographiques de cette décennie). Confronté à des récits tragiques et à l’indélébile violence du passé (un vétéran alcoolisé relate un épisode traumatique vécu en Europe pendant la Seconde Guerre Mondiale, rappelant cette fois la sanglante confession militaire de Robert Shaw dans Les Dents de la mer), Don tente poussivement de partager l'instant présent avec ces hommes écorchés par l'Histoire, mais le mensonge l'isole encore et toujours du reste du monde. Suite à un malentendu concernant le vol de la recette, les vétérans se retourneront d'ailleurs brutalement contre Don, confirmant que le personnage n’est décidément le bienvenu nulle part et doit écrire sa propre histoire seul. Quand il réalise que ce vol est l’acte du jeune employé du motel, Andy, le héros de Mad Men donne ce conseil avisé : « Si tu gardes cet argent, tu devras devenir quelqu'un d'autre. Et cela ne ressemble pas à ce que tu crois ». Décidément amer quant à sa douloureuse substitution d’identité, Don se détache de plus en plus de ses possessions; il cède ainsi sa voiture à Andy et choisit de rester seul à attendre le bus au bord de la route, dans une position d’auto-stoppeur qui valide à nouveau l’allusion dans l’épisode précédent à Sur la route de Jack Kerouac

« Je sais que ta vie sera une aventure » 

La notion de disparition se fait encore plus concrète avec Betty. A peine arrivée à l’université pour suivre ses études de psychologie, l’ancienne épouse de Don chute dans les escaliers. Le diagnostic sera aussi rapide que glaçant pour celle qu’on appelle « Mrs Robinson » (en référence à la maîtresse d'âge mur du Lauréat) : elle souffre d’un cancer des poumons, nouvelle qui est par ailleurs annoncé à son mari Henry Francis pendant qu'elle reste immobile à ses côtés, comme dépossédée de son propre sort. Face à la perspective de cette mort imminente, Betty préfère ne pas informer ses enfants mais Henry, totalement désemparé de constater que son pouvoir politique est impuissant à combattre le destin, préfère prévenir Sally. L’adolescente prend alors progressivement conscience dans l’épisode du nouveau rôle protecteur qu’elle devra jouer auprès de ses deux frères une fois sa mère décédée. C’est le sens du plan qui voit le dernier-né Gene monter sur les genoux de sa grande sœur : dans cette accélération presque surnaturelle du temps, Sally apparaît déjà comme une maman de substitution. Si le destin de Betty s'avère très rude, Matthew Weiner (qui a également réalisé l'épisode) tient à entourer le personnage de lumière et de détermination. La mère rassure ainsi sa fille en lui certifiant qu'elle a mené plusieurs combats dans sa vie et qu'elle ne suivra pas de traitement car il est cette fois inutile de retarder l'échéance. Retournant (lors du probable dernier plan de la série la mettant en scène) savourer les cours de l’université malgré sa maladie, Betty regagne en quelques minutes tout le lyrisme qui lui avait fait défaut dans les dernières saisons. Entendue en voix-off, la lettre d'instructions qu'elle adresse à Sally complimente sa fille et lui conseille de croire en l’avenir. « Je sais que ta vie sera une aventure ». Ne pouvant retenir ses larmes, l'adolescente hérite là de la sagacité insoupçonnée de sa mère. Dans cet épisode qui ne montre ni Joan ni Peggy ni Roger, une place de premier plan est réservée à Pete Campbell. Approché par le revenant Duck Phillips pour un nouveau poste, Pete constate l’influence qui est désormais la sienne dans l’univers de la publicité et demeure maître de son futur. Mais l'enchaînement des dîners d'affaires le pousse surtout à prier son ancienne compagne Trudy de se joindre à lui : si l'intéressée brocarde avec ironie la capacité de Pete à présenter comme des bons souvenirs un passé qui fut désagréable pour elle, le garçon trouvera les bons mots en fin d'épisode en décrivant cette fois à l'élu de son coeur des lendemains reluisants et romantiques. La recomposition du couple, qui s'en va démarrer une nouvelle vie à Wichita, sonne alors comme un des rares nouvelles positives de l’épisode. C'est que Pete a compris lors d'un repas avec son frère que l'infidélité chronique du mâle ne représentait en rien un modèle satisfaisant. Jusqu’ici pâle copie de Don dans ses agissements, Pete semble bénéficier d’une issue amoureuse plus favorable que son aîné. Car Pete ne nourrit désormais plus aucun doute sur ses désirs privés et professionnels, là où Don demeure plus que jamais incapable de dévoiler ce qu’il veut.  L’ultime épisode pourrait ainsi continuer à afficher sa bienveillance à l'égard de certains des protagonistes pendant que Don continuerait à errer vers une destination inconnue. Reverra-t-il sa fille Sally ? Lui téléphonera-t-il une dernière fois ? Et quelles informations offrira-t-il au public de Mad Men qui suit ses aventures depuis maintenant huit ans ? Réponses avec la conclusion de la série qui sera diffusée aux Etats-Unis le dimanche 17 mai. 

Damien Leblanc

En France, la saison 7 de Mad Men est diffusée sur Canal+.