Dérapages
Arte

Ce soir Arte termine la diffusion de la très bonne série Dérapages. Nous avons discuté avec son réalisateur, Ziad Doueiri.

L’ex cadreur de Quentin Tarantino (Pulp Fiction, Resrvoir Dogs….) : Ziad Doueiri (Baron Noir) revient à la série avec Dérapages qui termine ce soir sa diffusion sur Arte.

Un véritable thriller social dans lequel, un homme (Eric Cantona) anéanti par le chômage, est prêt à tout pour retrouver un emploi. Adapté du roman de Pierre Lemaitre (également au scénario) Cadre Noir, ce procès contre le système et le management déshumanisé, est d'une rare efficacité. 

Tout d’abord question rituelle, j’espère que le confinement se passe bien ?

Pour le moment, oui, tout va bien, je vous remercie. J’habite au rez-de-chaussée et je peux un peu marcher dans la cour. Et puis, je suis un peu habitué à cette ambiance, vous savez : j’ai été élevé pendant la guerre civile au Liban, donc ce n’est malheureusement pas la première fois que je vis ce genre de confinement.

Pour en venir à Dérapages. C’est une commande d’Arte ou une volonté de votre part ?

En fait, ni l’un ni l’autre. J’ai reçu un coup de fil de la production. Gille De Verdière (Mortel, Au service de la France, Main courante …) qui avait apprécié mon travail sur Baron Noir m’a demandé si ce projet m’intéressait.  Au départ, je n’étais pas très emballé par l’idée de repartir sur une série, mais j’ai commencé à lire le scénario et il était très bon. Pierre Lemaitre a vraiment écrit un texte à la fois très personnel et universel avec en plus une mécanique extrêmement bien construite.

Très rapidement nous avons eu des réunions de travail pour ré écrire le scénario, comme ça se passe généralement. J’ai expliqué ma vision de la série et on a travaillé ensemble pour y insuffler mes envies. Par exemple je ne voulais pas la tourner dans le Paris classique (la Tour Eifel, la Seine, les Ponts, L’Haussmannien...) mais dans le Paris moderne et froid qu’on ne voit pas souvent à l’écran : les tours du 13ème, la Défense.

Vous aviez lu son livre (Cadre Noir) dont Dérapages et l’adaptation ?

Non, je ne voulais pas être influencé par ma vision de lecteur. Il y a des richesses dans un livre qu’on ne peut pas retrouver dans un scénario et inversement. Mais, juste avant le tournage, j’ai craqué et décidé de lire le livre. C’est peut-être une étape que je devais franchir. Mais tout le travail du scénario, du casting, du repérage était fini à ce moment-là. Pour être totalement franc, avec cette lecture, je me suis aperçu qu’il y avait des choses dans le livre qu’il manquait au scénario que je suis allé piocher et même des choses dans le scénario que j’ai remplacé par des idées du livre…

Sans trop révéler : il y a un basculement incroyable à l’épisode 3. C’est ce challenge qui vous a attiré ? Comment réussir à faire passer ça à l’écran, sans que l’on s’y attende ?

C’est vrai que le tournant dans l’histoire imaginé par Pierre est génial et même narrativement très beau. Ce troisième épisode était oui mon préféré. On y découvre l’ultra violence d’un homme qui au départ ne l’est pas. Qui est juste à la recherche de sa dignité et qui pette les plombs. Franchement l’épisode était effectivement un chalenge à réaliser. C’est un peu un condensé de la série. Dans Dérapages, il y a tout : beaucoup de psychologie, beaucoup de social et beaucoup d’action. Evidemment, ce basculement dans la narration peut déranger certains spectateurs, mais en tant que réalisateur, c’est justement cette idée incroyable qui m’a poussé à me jeter dans le projet.

Personnellement, je n’ai pas lu le livre mais la série, elle, laisse entrevoir la possibilité d’une suite. Une saison 2 est-elle envisagée ?

Quand nous avons fini, avec Pierre Lemaitre, l’écriture du scénario des 6 épisodes, effectivement, l’écriture d’une une saison 2 était déclenché. J’ajouterais même que c’était écrit pour cela. Nous avons tout fait pour qu’à la fin de l’épisode 6, on veuille une suite. Malheureusement, je ne pense pas que la saison 2 verra le jour. A moins qu’il y ait un changement dans l’équipe…

Vous voulez parler de votre collaboration avec Pierre Lemaitre ? Il semblerait qu’il y ait eu des tensions, notamment sur le casting ?

Le travail scénaristique était terminé et la collaboration s’était bien passée. Après, effectivement, est venu la phase du casting et je n’arrivais pas à trouver l’acteur qui me convenait. On a vu beaucoup de monde, des acteurs assez connus d’ailleurs. Et toujours rien.  Et un jour, je suis tombé sur une photo d’un acteur - Éric Cantona – dans lequel j’ai enfin retrouvé mon Alain Delambre [non du personnage principal de la série. NDA]. Je ne savais pas qui était Cantona, je le jure ! Non seulement je ne suis pas Football, mais en plus j’ai vécu longtemps aux USA, où là-bas, ce n’est vraiment pas le truc. Vous pouvez me croire : je ne savais pas qui était Cantona !!  Et après je suis allé le voir chez lui, nous avons longuement discuté et j’ai été convaincu.

 Le point de divergence a donc été Cantona ?

 A départ, il y a avait aussi des réticences de la part de la chaîne, vous savez. Parce qu’il ne remplit pas la case « acteur Arte ».  Ils ont donc demandé à être rassuré et nous avons fait des essais avec lui et ils ont étés conquis. Pierre Lemaitre, par contre, était vraiment opposé. Car pour lui, Alain Delambre ne pouvait avoir le charisme que dégage Cantona.

Selon lui, le personnage est un homme faible. Il m’a dit :  "un homme en prison, comme Cantona, ce n’est pas lui qui prend les coups, c’est lui qui les donne". Nous avons eu des semaines de discussion avec Pierre. On lui expliquait qu’en prison, même une montagne de muscles pouvait être fragilisé par un nain. La force, surtout en prison, c’est un état d’esprit.  Il ne voulait rien savoir. Et à un moment, nous sommes devenus incompatibles. J’ai dû dire à Arte et aux producteurs, que je ne ferais pas la série sans Cantona et Pierre n’a donc plus voulu être impliqué dans le projet.  Très poliment et très diplomatiquement, je dois le dire, il s’est retiré. Et c’est l’une des raisons pour laquelle il n’y aura malheureusement pas de saison 2.