Sur le chemin de la rédemption de Paul Schrader
Universal

Les deux mavericks 70's livrent des interrogations testamentaires sur l'irrésistible attraction du Malin. 

Arrivé trop tard sur le Lido, Première a raté Downsizing, la fable d’Alexander Payne avec Matt Damon qui rétrécit, choisi pour lancer les festivités et ouvrir cette 74ème Mostra. C’est donc William Friedkin qui s’est chargé de nous souhaiter la bienvenue, avec son documentaire The Devil and Father Amorth. Ce qui nous allait très bien : quoi qu’il tourne, des chefs-d’œuvre ou des navets, on ne s’ennuie jamais avec "Hurricane Billy". Après avoir raconté sa vie dans la passionnante autobiographie Friedkin Connection, l’homme jette à nouveau ici un regard rétrospectif sur sa carrière, en l’occurrence sur son plus fameux fait d’armes : L’Exorciste. Réalisant soudain, plus de quatre décennies après la bataille, qu’il n’avait jamais assisté à un véritable exorcisme, Friedkin part donc à la rencontre du Père Amorth, 91 ans, exorciste officiel du Vatican, champion de la lutte contre le Démon (et fan numéro 1 de L’Exorciste !) pour mener l’enquête sur l’existence de Satan. Le cinéaste déambule de Georgetown (où il a tourné son chef-d’œuvre horrifique en 72) à Rome, s’adressant directement à nous face caméra, comme un bonimenteur apostrophant la foule à l’entrée du palais des horreurs, et évoque un mélange entre le Orson Welles de Vérités et Mensonges (le génie du cinéma en pré-retraite qui se met en scène pour amuser la galerie) et le Jacques Pradel de Mystères (musique envahissante, montage choc, le film a parfois la forme ingrate d’un docu-fiction racoleur de la TNT sur les phénomènes surnaturels). Le gros morceau de ce film court (1h08 au compteur) est une séance d’exorcisme filmée par Friedkin himself, dix minutes impressionnantes, forcément impressionnantes, où une « possédée » éructe, hurle, bave, se débat, pendant que le Père Amorth apostrophe le démon et tente de la libérer. Friedkin rencontre ensuite divers interlocuteurs (des neurochirurgiens, l’archevêque de Los Angeles…) pour mieux comprendre ce dont il a été témoin. Cette femme est-elle réellement possédée ? Si le Diable existe, alors Dieu aussi, non ? L’enquête n’est pas très rigoureuse, mais Friedkin a l’air de s’éclater comme un fou à discuter très doctement du Malin avec tout un tas de scientifiques chevronnés. Il est sans doute galvanisé par l’idée que cette longue scène choc au milieu du film, qu’il est le seul à avoir pu mettre en boîte (Amorth n’avait jamais autorisé de caméra lors de ces "séances") ressemble à un condensé total de son cinéma : dix minutes d’un affrontement vociférant entre le bien et le mal, réduit à sa plus simple expression. Comme une sorte d’épure absolue de toute l’œuvre. Un haïku radical et tranchant.

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A propos de Dieu, de vieilles gloires des seventies, et de cinéastes qui se radicalisent avec l’âge : Paul Schrader est là aussi. En compétition. First Reformed le voit revenir, après ses aventures crowdfundées en compagnie de Bret Easton Ellis (The Canyons), un DTV renié (Dying of the Light) et une tarantinade (Dog Eat Dog), à sa veine la plus ascétique et austère. Calviniste et bressonienne. Ethan Hawke y joue un pasteur en colère, jamais remis de la mort de son fils, incapable de prier, dévasté par le silence de Dieu et le délabrement moral de l’Amérique, qui couche ses pensées tous les soirs dans un journal en buvant du mauvais whisky, et va bientôt être ébranlé par le suicide d’une brebis égarée, un activiste écolo tenté par le terrorisme. Manifestement plus obsédé que jamais par le Journal d’un curé de campagne, Schrader rejoue Taxi Driver (la voix off lancinante, la lente descente aux enfers, l’humanité viciée, la séduction de l’ultra-violence) dans une forme crue : cadres fixes, format carré, hiératisme des acteurs. Les intentions et les thèmes sont parfois trop lourdement assénés, le film ne fait aucun effort de séduction, mais c’est aussi ce jusqu’au-boutisme hardcore qui en fait le prix et finit par émouvoir. Ce n’est pas le film le plus divertissant qu’on puisse imaginer, parfois presque une punition, mais c’est sans doute le plus personnel et sincère de son auteur depuis Light Sleeper (variation sur Pickpocket starring Willem Dafoe). Cette forme de fidélité absolue à soi-même force quand même le respect.