Medusa
Waynapitch

Un nouveau cyclone frappe la Réunion mais le festival Même pas peur tient bon et offre un déluges de films fantastiques. Medusa et The Innocents concluent les hostilités.

Même pas peur, troisième jour. Le cyclone Emnati n’est plus une rumeur mais une menace aux allures de Léviathan. Alors qu’il dévore avidement les cotes de la Réunion et déverse des trombes d’eau sur Saint-Philippe, les festivaliers se pressent dans la salle obscure de la ville pour savourer deux programmes de courts-métrages et deux films qui laissent une traînée de souffre partout où ils passent : Medusa et The Innocents.

Botox et gros coups de pelles

Particulièrement éclectique, la programmation de court-métrages va piocher dans les talents du monde entier, de la Finlande (Night of the living dicks), jusqu’à la Chine (Double Hélice). Trois courts-métrages particulièrement barrés retiendront notre attention, la farce française : Les Démons de Dorothy, du frenchy Alexis Langlois, nous convie dans l’univers d’une jeune réalisatrice en plein doute créatif. Alors qu’elle rêve de tourner des films queers peuplés de bikeuses botoxées, sa marâtre de mère, son affreuse productrice et sa populaire rivale Xena Lodan (ersatz féminin de Xavier Dolan...) la hantent pour la forcer à écrire des films plus universels. Le combat sera sanglant et les mènera jusqu’en enfer. Accrochez vos ceintures : cette critique de la « grande famille du cinéma » est complètement régressive ! Bienvenue dans un infernal déluge de bave, de fluides et de peaux liftées qui paye son tribu à Evil Dead, Beetlejuice et même Brazil. C’est interminable, plein de mauvais goût et de mauvais esprit mais on en redemanderait presque.

Pour réveiller les papilles après ce hors-d’œuvre français indigeste, le court-métrage danois In the soil gâche aussitôt la fête avec l’hospitalité d’un hareng fumé. Minimaliste, froid et austère, il raconte comment un père et sa fille creusent un trou étrange dans leur jardin, comme pour obéir à un ordre mystique. Ce thriller simple et efficace aux accents lovecraftiens dégage une atmosphère terrifiante qui prend aux tripes. Enfin, l’amusant court-métrage suédois Finito, confronte la NASA et les chefs d’états à l’arrivée d’une météorite de la taille du Texas sur la Terre. Dans la lignée de Don’t look up, cette comédie reste cependant très nordique et pince-sans-rire dans son approche et offre une galerie de personnages délicieusement détestables ainsi qu’un final mélancolique et presque poétique.

Bons Baisers du Brésil

Une femme désarticulée, éclairée de rouge et de vert, danse lascivement dans l’hypnotique scène d’introduction de Medusa. Tout comme la déesse grecque capable de transformer n’importe quel soldat en tas de pierre, cette danseuse scotche le regard et annonce un film sensuel et vénéneux. Autopsie cruelle du Brésil de Bolsonaro, Medusa suit la trace sanglante d’un gang de filles puritaines qui traquent et passent à tabac toutes les jeunes-femmes plus progressistes du coin : sorcières et féministes en tête de liste. Mais suite à un accident qui lui laisse le visage balafré, l’une d’entre elle, Mariana, voit sa vie et sa foi bouleversées. Elle se lance alors à la recherche d’une sainte légendaire. Dans ce deuxième long-métrage, la jeune réalisatrice Anita Rocha Da Silveira paye son hommage à John Carpenter et Dario Argento, mais aussi aux télénovelas, pour signer un film singulier, onirique et intense sur la condition des jeune-femmes de son pays.

Ces sales gosses venus du froid

Écrit et réalisé par Eskil Vogt, le scénariste de Joachim Trier (Oslo 31 aout, Julie en 12 Chapitres), The Innocents a permis à ce Norvégien inspiré de délaisser le drame social pour s’essayer au cinéma horrifique. En sort un long-métrage anxiogène sur les mystères de l’enfance qui nous plonge dans une sinistre cité norvégienne où 4 enfants se découvrent des pouvoirs surnaturels. Source d’émerveillement et de jeux les premiers jours, ces pouvoirs vont rapidement avoir une portée dramatique sur leur entourage... Une grande part de la force de The Innocents réside dans le portrait cruel qu’il fait de ces gamins à la curiosité malsaine et morbide. Parfaitement dirigés, ils dégagent une froideur et une candeur terrifiante qui glace le sang. Une tension palpable nous écrase tout au long de ces deux heures, grâce à une parfaite maîtrise du cadre, du hors-champ et de la suggestion. C’est sur ce thriller grisâtre et traumatisant que ce conclut le troisième jour de Meme pas peur, et déjà, nous devons sauter dans l’avion pour éviter le cyclone qui arrive plus tôt que prévu. Jusqu'à la dernière minute, ce festival du bout du monde nous aura rappelé qu'il n'y a qu'une seule manière de vivre le cinéma fantastique : intensément !