Scott Rudin
Abaca

"C’était un niveau de manque de contrôle que je n’avais jamais vu auparavant sur un lieu de travail."

Le producteur américain Scott Rudin (ci-dessus en photo avec les frères Coen, en 2008, lors de la victoire de No Country for Old Men aux Oscars) se trouve être la cible de déclarations qui pourraient bien nuire à sa carrière. A 62 ans, ce géant de l’industrie cinématographique, avec des films comme The Social Network, ou encore beaucoup de films Wes Anderson (produits par son nom en propre ou par sa société Scott Rudin Productions), est l’un des producteurs les plus récompensés, avec 151 nominations aux Oscars et 23 victoires, et 17 Tony Awards au théâtre. Voilà qu’il se retrouve accusé de comportements abusifs par d’anciens employés, d’après le site américain The Hollywood Reporter. 

“Tout le monde sait que c’est un monstre”
Beaucoup ont témoigné, rapportant des histoires d’énervement choquantes. Rudin est décrit comme ayant “un nouveau niveau de déséquilibre”. Quelqu'un qui commence ses journées à 6h pour ne les finir qu’à 20h et qui, un jour, n’a pas hésité à éclater un ordinateur Apple sur la main de son assistant qui n’avait pas réussi à lui obtenir un siège dans un vol à guichet fermé. Cet assistant a été blessé par les éclats de verre. Il n’a pas voulu témoigner par la suite, mais une autre personne était présente dans le bureau à ce moment-là l' fait. Un cadre de l’époque, Andrew Coles explique : “Nous étions tous choqués, nous ne savions pas que ce genre de chose pouvait se produire dans ce bureau [...] C’était un niveau de manque de contrôle que je n’avais jamais vu auparavant sur un lieu de travail”.


Ces comportements inadmissibles ne dateraint pas d’hier, et n’étaient pas non plus méconnus, étant donné qu’il a été nommé “Boss-zilla” par le Wall Street Journal en 2005, puis qualifié “d’homme le plus redouté de la ville” par la presse en 2010. Et d’après ses dires, il aurait brûlé 119 de ses assistants les cinq années précédentes, ce qui pousse l'un de ses anciens collaborateurs à commenter : “Tout le monde sait que c’est un monstre”. En réalité, ses crises de colère sont documentées depuis quatre décennies (et auraient même partiellement inspiré le film de 1994, Swimming with Sharks). Mais ce sont les accusations pour agressions sexuelles contre Harvey Weinstein en 2017 et la naissance du mouvement #MeToo qui ont permis de libérer la parole sur tous les comportements toxiques dans le milieu du cinéma, de l’abus de pouvoir au racisme, en passant par les micro agressions.

Harcèlement sexuel : Bob, le frère de Harvey Weinstein, aussi

“Chaque jour était horrible et épuisant”
Caroline Rugo a bien connu Rudin, puisqu’elle a été employée pour sa société de production en tant que coordinatrice exécutive en 2018. Rugo est atteinte de diabète de type 1 et a accepté beaucoup de compromis, comme commencer ses journées à 5h du matin depuis chez elle puis se rendre dans les bureaux New-Yorkais à 6h du matin. Elle le savait, mais elle était quand même réjouie de rejoindre ses équipes. L’exaltation fut de courte durée, puisqu’elle fut victime d’actes d’intimidation de la part du Big Boss. Elle décrit l’ambiance qui régnait : “[en mars 2019] Il a jeté un ordinateur contre la fenêtre, puis est allé dans la cuisine pour frapper contre des distributeurs”, raconte-t-elle. “Une fois il a jeté un bol en verre sur un collègue, peut-être involontairement mais la finalité a été que le bol s’est éclaté contre le mur et qu'une personne des RH s’est retrouvée aux urgences à cause d’une crise de panique [...] cette personne n’est jamais revenue”.

Beaucoup d’autres histoires sortent à ce moment-là. En 2020, SpotCo, une agence de publicité et marketing avec laquelle il avait travaillé, le poursuit pour travail non rémunéré (l’affaire est d’ailleurs toujours en cours). Au même moment, l’écrivain Jeremy O. Harris, très populaire, publiait un tweet concernant Rudin dans lequel il l’accusait d’être “lourdement raciste”. Le producteur l’aurait ensuite appelé et lui aurait déclaré “Tu es un bébé dramaturge qui n’a écrit qu’une seule bonne pièce, personne n’en a rien à foutre de ce que tu peux dire.” En 2014, c’est Kevin Walsh (le producteur de Manchester by the Sea) qui déclarait au Hollywood Reporter que Rudin l’avait fait sortir de sa voiture et l’avait abandonné sur une autoroute. Un ancien collaborateur accusait Rudin et un cadre supérieur de jeter tous les objets d’un chef de bureau, “pour aucune raison”. Plus récemment, un de ses assistants l’accusait de lui avoir lancé une pomme de terre au four en plein visage pour ne pas avoir su répondre à une simple question : “Je lui ai annoncé qu’un producteur d’A24 était en train de monter aux bureaux, mais je ne savais pas de quoi il s’agissait. Il a piqué une crise et m’a lancé la pomme de terre, car personne ne lui avait dit qu’A24 était sur son planning. [...] il a ajouté “Découvre pourquoi, et ramène moi une autre pomme de terre.” Et pour couronner le tout, ce même assistant a quitté l’université pour rejoindre les équipes à plein temps, et c’est le moment qu’a choisi Rudin pour le licencier. Sans oublier son assistant exécutif en 2018 et 2019, Ryan Nelson, qui dit avoir complètement quitté l’industrie du cinéma après avoir trop souvent été le témoin de mauvais traitements. Il se souvient de Rudin jetant une agrafeuse sur un assistant en le traitant d'“attardé” : “Chaque jour était horrible et épuisant”. Un autre ex-assistant, Miguel Cortes est devenu mécanicien vélo après avoir quitté Scott Rudin Productions, très marqué par la mauvaise expérience : “Vous souhaitiez réellement maintenir une distance quand vous parliez avec Rudin. Je suis un homme assez grand [...] je me disais : “Je ne suis pas intimidé par lui, il est plus petit que moi”. Mais il venait à chaque fois que je m’asseyais et je me souviens avoir pensé : “C’est un coup de génie, de venir quand je suis le plus petit”. Il me dominait physiquement, et choisissait ce moment-là pour me hurler dessus”. Caroline Rugo, quant à elle, a également fini par être licenciée au bout de 6 mois. Elle travaille maintenant dans le développement chez Netflix. “Maintenant que je fais partie d’une équipe où mes idées sont respectées et entendues, je parle de Scott sans aucun problème, commente-t-elle. Tout le monde sait quel monstre c’est.”

Casey Affleck : un Oscar qui dérange

"Il faut parler ouvertement et donner des noms"
Rudin publie régulièrement des offres d’emploi sur internet. Un anonyme a préféré avertir les potentiels candidats et leur a conseillé de “fuir loin, très loin”, en affirmant avoir déjà vu le producteur tirer la chaise d’un assistant qui s’apprêtait à s'asseoir.

Hollywood a malheureusement toujours été la proie des abus de pouvoir. Ces comportements abusifs sont parfois, à tort, tolérés et presque considérés comme normaux. Chez Scott Rudin Productions, la horde d’assistants était constituée de jeunes diplômés, de moins de 25 ans, quasiment prêts à tout pour entrer dans l’industrie, même à subir des traitements de la sorte.

Malgré tout cela, Rudin continue de travailler avec les plus grands noms de l’industrie cinématographique. Ses prochains projets incluent des collaborations avec Joel Coen, Denzel Washington ou encore Jennifer Lawrence. Injustement car, aucune des rares plaintes déposées à son encontre n'a abouti. D’après une source bien informée, elles sont réglées discrètement et à l'abri de la justice. Beaucoup de ses anciens employés ont aussi choisi de ne pas s’exprimer, par peur des représailles, ce qui explique aussi le grand nombre de témoignages anonymes de cet article. “[Ses employés] finissent toujours par démissionner”, explique un producteur qui a engagé un ancien assistant de Rudin. Et le cauchemar ne semble visiblement pas s’arrêter au harcèlement et à la maltraitance durant le travail, car une fois les assistants licenciés, il se rend sur IMDb pour supprimer tous les crédits que ces derniers ont accumulé en travaillant pour lui.

Un portrait plus que déplaisant, qui en dit long sur les abus de pouvoir. Miguel Cortes espère que le progrès continuera dans l’industrie du cinéma, malgré de gros monuments intimidants comme Rudin, protégés par leur longue présence dans le métier. “Pour voir ce changement dans l’industrie, il faut parler ouvertement et donner des noms, ajoute-t-il. Je n’ai pas peur de Scott Rudin.”