Down with the king
Breakers studio

La manifestation qui se tenait jusqu’à aujourd'hui a fait le plein de spectateurs et a livré samedi soir un palmarès inattaquable.

D'abord un constat : les salles de cinéma de Deauville étaient à chaque projection pleines à craquer. Le public, enthousiaste. Et, les salles étant bondées, on a même vu certains journalistes et festivaliers ne pas pouvoir rentrer et être obligés de se rabattre sur le bar le plus proche... De ce point de vue, le 47ème festival de Deauville fut une réussite. Une fois de plus (après l'année dernière hautement symbolique), l'événement balnéaire a montré que l'envie de cinéma, des salles, est donc toujours aussi forte. 

Pour satisfaire cette envie, encore faut-il des bons films. Et c'est précisément ceux-là qui furent récompensés samedi soir. 

Down With The King repart avec le Grand Prix du festival. C'est un joli film sensible, qui épouse les doutes et la crise existentielle de son héros. L'histoire suit Money Merc, une star du hip hop qui n'arrive plus à composer. Pour retrouver l'inspiration, Merc décide de s'éloigner de la ville pour s'installer dans une ferme du Massachusetts... Sur ce point de départ quasi burlesque - qui évoque plus les comédies british que les films de rap yankees - Diego Ongaro signe, sur un mode quasi-documentaire et en mélangeant acteurs professionnels et amateurs, un joli portrait d'homme en crise. A-t-on le droit de tout quitter sur un coup de tête ? Est-ce que l'herbe est vraiment plus verte ailleurs ? Et comment gérer la coexistence entre deux modes de vie si contradictoires ? A l'image de son personnage principal qui débarque chez les paysans avec ses costumes bling bling, et part flâner dans la forêt en gros manteau de fourrure, Ongaro joue avec les clichés et renvoie tout le monde dos à dos, son rappeur gangsta comme le vieux fermier redneck qui l'accueille. Le film tient dans ce choc des cultures assez réjouissant, mais aussi dans le charisme de sa star principale. C'est le rappeur Freddie Gibbs qui est au centre du dispositif. La caméra d'Ongaro traque les moindres climats de son visage inquiet, lassé ou apaisé. Et c'est lui qui donne le tempo (son allure, sa musique, son flow) de ce film doux qui conclut le festival sur une note légère et positive.  

Mais il n'y avait pas que les rappeurs bucoliques à Deauville cette année, il y avait (surtout) l'industrie porno. Et alors que Venise consacrait les cinéastes femmes, au même moment Deauville mettait en valeur le travail d'une réalisatrice. Quand sur la scène du Lido, Audrey Diwan, Maggie Gyllenhaal et Jane Campion venaient chercher leurs statuettes, dans la salle du CID, c'est Pleasure qui repartait avec le Prix du Jury. Dans ce film radical, violent et malaisant, la cinéaste Ninja Thyberg raconte les coulisses de l'industrie du X. Elle suit le parcours de Bella, une jeune Suédoise de vingt ans qui débarque à L.A. avec pour ambition de faire carrière dans le milieu du porno. Tout est détaillé avec un luxe de détails : les relations avec les autres actrices, les auditions dégradantes, les tournages glauques où la violence le dispute à l'humiliation... la succession des scènes choc - mais jamais gratuites ou voyeuristes - ont fait sortir des spectateurs de séances. C'est que, entre fiction et documentaire, le film de Thyberg est grave, triste, douloureux ; mais il a le mérite de s'intéresser à une industrie méconnue, largement soumise à des modes de pensées patriarcales parfaitement rendues par Thyberg. Aux menaces des hommes, à leur violence constitutives, à leurs stratagèmes dégueulasses, répond la sororité des travailleuses du sexe qui essaient, comme elles peuvent, de constituer un contre-pouvoir aux hommes largement toxiques. 

Toxique : c'est aussi le mot qui vient à l'esprit quand on pense à Red Rocket, autre récipiendaire du Prix du Jury et autre film sur fond de porno US. Red Rocket, c'est Mikey, une porn star laminée qui au début du film revient dans son bled du Texas. Il s’incruste chez son ex-femme et son ex belle-mère le temps de se refaire une santé. Il prétend être de passage et cherche du boulot, mais dans une Amérique ravagée par la crise, muni d’un CV aussi court que sa bite est longue, Mikey ne trouve rien. Il erre, à vélo, entre les raffineries et les stations service désertées. Il se met à vendre du shit pour gagner un peu d’argent et tombe sur Strawberry, une gamine de 17 ans, vendeuse dans une boutique de donuts. Mikey est sous le charme. Il la séduit et progressivement, voit en elle son ticket de retour à L.A… Il y a plusieurs films dans Red Rocket. D’abord une belle étude de caractères. Mikey est un personnage ambivalent. Egoïste et arrogant, superbe et misérable, un type capable d’arnaquer ses proches sans une once de regret. La débrouille et le mensonge sont ses Dieux personnels. Sa tchatche (mitraillette) est son arme favorite. Si Sean Baker ne lui trouve aucune excuse - il filme sa séduction de bastringue et sa flamboyance plouc avec une énergie redoutable - le film fonctionne surtout grâce au charisme de Simon Rex. Sourire ultra white, regard de velours, corps d’Apollon, cette ancienne porn star (re)joue en partie sa propre histoire et trouve ici le rôle de sa vie. Mais Red Rocket est un peu plus qu'une aventure au pays de la lose. En toile de fond, à la télé, l’élection de Trump en 2016 est en train de se jouer. Et derrière le portrait du loser se cache donc un film politique. Une peinture de l’Amérique White trash, cette Amérique des marges défoncée, où la magouille et la lâcheté sont les clés de survie. Le Texas devient tout à coup le symbole de toutes les oppressions yankees (comme le dit la gamine « avant l’or noir, on a vécu sur l’ivoire noir »). Et avec ses rêves de grandeur et d’argent facile nourris par sa lâcheté et son immaturité, Mikey devient l’incarnation de l’Amérique Trumpienne.

Le film de Baker est lumineux et grave, picaresque et pathétique, là où Pleasure est violent, radical et engagé. Mais les deux films se répondent de manière étonnante et leur remettre le Prix du Jury ex aequo accentuent ces parallèles.  

Enfin le prix du public est allé au mélodrame sur l'immigration Blue Bayou de et avec Justin Chon tandis que Le Prix Fondation Louis Roederer de la révélation a récompensé John and the hole de l'Espagnol Pascual Sisto. Ce film raconte comment un ado mal dans sa peau va séquestrer ses parents dans un bunker. Mais la fable s'amuse à prendre le public à contrepied et nous emmène jamais là où l'on croit...

Si le palmarès est inattaquable, on regrettera quand même l'absence de Pig. Dans Pig, Michael Sarnoski filme Nicolas Cage (hirsute, sanguinolent et mutique) de manière inattendue très loin de sa récente filmo punk. Déjouant constamment toutes les attentes des spectateurs, le jeune cinéaste entraîne le spectateur loin du revenge movie attendu et permet à Cage de glisser de belles notes autobiographiques. On en reparle vite. 

Le Palmarès du 47ème festival de Deauville

Grand Prix : Down with the King de Diego Ongaro

Prix du Jury ex-aequo : Pleasure de Ninja Thyberg et Red Rocket de Sean Baker

Prix de la critique : Red Rocket de Sean Baker

Prix du public : Blue Bayou de Justin Chon

Prix de la révélation : John and the Hole de Pascual Sisto

Prix d'Ornano-Valenti : Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona