Mon inconnue
Mars films

Avec Mon Inconnue, Hugo Gélin signe une comédie romantique, une vraie, qui s’amuse avec les codes et flirte avec le fantastique.

A la fin du film, Olivia, le personnage de Joséphine Japy, concertiste célèbre, joue la fantaisie impromptue de Chopin. En vrai, ça doit être Katia Buniatishvili, la lionne géorgienne : la musicienne apparaît un court instant dans le film et on imagine mal l’actrice pouvoir réellement jouer ce morceau qui ressemble à la face Est du Cerro Torre ou à une descente de la Sarrenne sur un seul ski - c’est un autre débat. Reprenons. A la fin du film Olivia joue donc la fantaisie impromptue de Chopin. Comme la plupart de ses œuvres, ce morceau est une pièce d’un romantisme, d’une poésie et d’un lyrisme fou. Placé à ce moment-là du film, shooté comme le sommet de l’histoire, le morceau résume bien le projet fou du cinéaste. Mon Inconnue veut être une comédie romantique totale et avec du souffle.

C’est le cas. Mais après un début poussif. Tout commence sur une image folle. Paris sous la neige. Le pont Saint-Louis est explosé et gît en morceau sur une Seine gelée. La caméra descend sur les quais et s’engouffre dans un entrepôt où un homme court, habillé de cuir  poursuivi par des soldats. Explosion, tirs… fin du segment postapo et nous voilà dans un lycée parisien. François Civil et Benjamin Lavernhe moumoutés, (mal) déguisés en ados de dix-sept ans, tentent d’avoir le bac. Raphaël fan de SF (François Civil) écrit un livre (on comprendra que c’est l’histoire du début). Un soir il entend des notes de piano dans son lycée et découvre Olivia seule dans une pièce. C’est le coup de foudre instantané. Le pré-générique s’emballe et raconte leurs dix années d’amour exclusif et passionné (mariage, succès pour lui). Raphaël est devenu un écrivain arrogant, bien sapé et trop sur de lui. Olivia est prof de piano. Occupé par ses nombreuses activités il la néglige un peu. Et un soir, c’est la dispute de trop. Lorsque Raphaël se réveille le lendemain matin, on comprend vite (et avant lui), qu’il est passé dans un autre univers. Il vit la vie qu’il aurait dû avoir s’il n’avait jamais rencontré Olivia. Pour revenir dans son monde, il va devoir la séduire à nouveau.

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L’horizon de Gélin est donc la pure comédie romantique, une histoire d’amour impossible qui doit triompher malgré tout : le garçon doit reconquérir la fille qu’il aime. Le schéma est classique, usé même, mais Gélin et ses scénaristes le tordent avec cette idée maline d’uchronie. On sait ! Ce n’est pas la première fois que romcom et SF se mettent en ménage et Gélin marche clairement sur les traces d’Un jour sans fin, mais surtout du Il Etait Temps de Richard Curtis (le voyage temporel étant remplacé ici par l’uchronie) ou le beau Quelque part dans le temps, en moins mélo, moins désespérée. Car Mon Inconnue est une vraie comédie romantique, drôle, enflammée quand il faut et nostalgique (mais pas trop) quand c’est nécessaire.

Avec une question centrale : à quoi ressemblerait la vie si on n’avait pas rencontré son grand amour de jeunesse ? Hugo Gélin joue habilement de son postulat SF et balance son écrivain yuppie dans une nouvelle dimension moins sexy. Adieu le rooftop et les cocktails chez l’éditeur, bonjour les salles de collégiens et les tournois de ping pong miteux. Car Raphaël va devoir s’accommoder de sa nouvelle condition désynchronisée, de son nouveau « moi » en somme (il était superstar littéraire, il est prof de lettre célibataire). Il a certes une petite longueur d’avance sur le destin, mais celui-ci lui met régulièrement des bâtons dans les roues…

C’est cette belle idée pop, romanesque, qui, grâce à une prod solide, donne des allures de classique instantané au film. A part le prologue, le film est beau, tente des idées de cinéma (le zoom délicat pendant le concert) et accompagne les délires de ses personnages jusqu’au bout.

Mais Gélin peut surtout s’appuyer sur des comédiens formidables et craquants. François Civil est une bombe : à l’aise dans les moments de franche déconnade comme dans les instants plus tragiques. Face à lui Joséphine Japy est parfaite dans le rôle d’Olivia, belle, revêche, timide et solaire. Quant à Benjamin Lavernhe il compose un sidekick irrésistible tour à tour gaffeur et émouvant, beauf et subtil, alors que son rôle n’était pas forcément le plus simple à jouer – il évite les chausse-trappes de la caricature constamment. C’est fort, très fort.

Mon Inconnue, est une belle comédie romantique, comme plus personne n’ose en faire, une belle histoire d’amour lyrique, romantique et enlevée. Qui n’essaie jamais d’être virtuose et préfère jouer les émotions. Précisément comme on doit jouer Chopin. C’était une bonne idée la fantaisie impromptue.