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A première vue, le parti pris de Near Death Experience semble un chouïa opportuniste. Prendre Michel Houellebecq comme acteur principal seul face à la caméra pendant pratiquement tout un film, c'était un bon coup promo. D'autant que l'histoire (un homme part seul dans la montagne pour se suicider) le place d'office dans la peau d'un personnage qu'il pourrait avoir lui-même écrit un soir de fatigue.Pourtant, les réalisateurs paraissent sincères dans leur démarche : "Nous, les mecs qui sortent de l'ordinaire dans leur comportement, qui ne cèdent pas aux clichés et aux passages obligés dans leur manière d'être par rapport aux médias, ça nous impressionne et nous attire" affirme Gustave Kervern. "C'est pour ça qu'on l'a appelé ; c'était une très belle rencontre, on a flashé sur lui et il nous a tout donné sur le tournage", complète Delépine. Aucun cynisme donc. Reste que ce Houellebecq à l'écran rappelle furieusement une sorte de vision déformée de ce qu'il est déjà au naturel, voire une auto-caricature. Logique, puisque les cinéastes se sont adaptés à l’écrivain après l'avoir rencontré : la musique, une réplique, des tournures de phrase, le choix d'un poème de Baudelaire qu'il affectionne... Tout ça n'était pas prévu dès le départ.Acteur ou bête de foireAlors, où commence Paul, le personnage, et où s'arrête Michel, l'interprète ? "Plus Paul s'enfonce dans les montagnes pour tenter de se suicider, plus il semble redevenir Houellebecq analyse Nicolas Schaller, critique et journaliste auNouvel Observateur. C'est ce qui rend le film assez fascinant. Ce type fatigué du monde, qui n'arrive pas à se suicider, est-ce Paul/Michel prisonnier de sa dépression ou Houellebecq prisonnier de son image ?" Prisonnier de son image, l’auteur l’est depuis un moment déjà, et NDE ne fait que renforcer l’impression provoquée par ses dernières apparitions médiatiques. Alors, on s’interroge : Houellebecq se livre-t-il consciemment à un exercice de style ironique, ou s'abandonne-t-il complètement, quitte à être utilisé comme une bête de foire ? "Les deux, tout simplement, tranche Baptiste Liger, journaliste à Lire, et à ce titre, Guillaume Nicloux avait été encore plus loin avec L'Enlèvement de Michel Houellebecq, jusqu'à se servir de la fiction pour dresser son portrait." L'écrivain est en effet un acteur récidiviste, sauf que chez Nicloux, il jouait son propre rôle, malgré une grosse part d'autodérision. Ici, c'est plus flou, car NDE, c'est aussi la naissance de Houellebecq en tant que comédien pur et dur, que Delépine et Kervern comparent tranquillement à Depardieu (qu'ils ont filmé dans Mammuth). Du côté des critiques, on évoque un tout autre modèle : "NDE révèle sa puissance comique, il joue de son corps comme d'un outil burlesque avec peu d'inhibition... Houellebecq est fan de Louis De Funès et ça se sent", affirme Nicolas Schaller.(Mise en) abymeCe qu’on voit surtout à l’écran, c’est un créateur dépassé par sa création, voire devenu lui-même sa création. La démarche du très médiatique auteur est en fait un quitte ou double : certains trouveront l’exercice vain quand d’autres y verront une maligne mise en abyme. "On ne contrôle jamais - et heureusement - le regard des autres, qui plaquent ce qu'ils veulent", rappelle Baptiste Liger. Surtout qu'en l’occurrence, cela ne porte pas réellement préjudice au travail de Houellebecq, qui en a toujours intelligemment joué jusqu’ici. Mais, même assumé, le cliché de l’auteur-acteur qui va jusqu’au bout de sa vraie nature, jusqu'à la surjouer et la parodier, ne traduit-il pas la démarche d’un poseur ? "Qu'importe, après tout : c'est avant tout ce qu'il fait de cette image - volontairement ou pas - qui compte".Houellebecq peut-il poursuivre dans ce registre sans se casser la gueule ou tourner en rond indéfiniment ? Au fond ce n'est plus la question, car il est peut être déjà prêt à tourner la page. "Le cinéma enrichit son œuvre tout en s'intéressant à lui pour la caricature qu'il est devenu. On peut se demander, après romancier, poète, chanteur, cinéaste, photographe érotique, acteur... dans quelle nouvelle peau Houellebecq se glissera-t-il la prochaine fois ?" interroge Nicolas Schaller. Bien malin qui pourrait le deviner : il est fort probable que le premier concerné ne le sache pas encore lui-même. Mais une chose est sûre, pour reprendre les mots, enthousiastes, de Kervern et Delépine : "Michel Houellebecq n'a peur de rien".Yérim SarNear Death Experience de Gustave Kervern et Benoît Delépine avec Michel Houellebecq, est actuellement dans les salles.L'histoire : Paul, un employé sur une plateforme téléphonique est en plein burn-out. Un vendredi 13, la chronique du journal télévisé sur ce jour particulier lui apparait comme un signal pour passer à l'acte. Décidé à concrétiser son geste, il s'enfuit dans la montagne où il va vivre une expérience particulière.