Avec Mamá, on est très loin de Zero Dark Thirty...J’ai reçu ce script juste après la sortie de The Tree of Life, qui a été mon premier grand film avec Take Shelter (tous deux avaient été présentés à Cannes en 2011). Du jour au lendemain, on ne m’a plus envoyé que des propositions pour des rôles de mères vertueuses et gracieuses. Avec Mamá, c’était l’inverse : Annabel, mon personnage, est une femme qui joue de la basse dans un groupe punk. Elle refuse de grandir, sait qu’elle n’est pas assez douée pour devenir célèbre, mais elle aime bien la vie de bohème et habite dans un loft avec son petit ami. L’irruption de deux enfants va révéler chez elle un sentiment maternel qu’elle ne soupçonnait pas. Tout ça était nouveau pour moi, c’est ce qui m’a convaincue.Le climat vire ensuite à la terreur. Comment vous mettiez-vous en condition ?J’ai étudié le cinéma d’horreur en louant autant de films que possible. Je me suis rendu compte qu’une partie de l’atmosphère émane de la musique, des soupirs et des hurlements. Parfois, les sons s’avèrent plus terrifiants encore que les images, surtout si, comme certains, vous vous couvrez les yeux pour ne pas voir ! Mia Wasikowska m’a raconté que sur le plateau d’Alice au pays des merveilles, Johnny Depp se mettait dans l’ambiance en écoutant des BO au casque. J’ai donc demandé à Andy (Muschietti) de faire la même chose, à charge pour lui de me proposer des musiques adaptées aux différentes scènes. Rien que d’y repenser, ça me donne la chair de poule...Comment avez-vous composé votre personnage ?Je me suis souvenu de mes années de lycée et de fac durant lesquelles j’ai rencontré beaucoup de filles ressemblant à Annabel. Psychologiquement, elles ne sont pas vraiment perturbées, elles mènent des vies plutôt normales, mais elles aiment ce genre de musique et elles sont cool. Pour le look, je me suis inspirée de la coiffure de la chanteuse Alice Glass et Andy a pensé au tatouage en forme de pieuvre. Je n’étais pas très chaudemais c’était une bonne idée car le poulpe a la particularité de pouvoir se défaire d’un de ses tentacules s’il est coincé. Exactement comme Annabel, qui prend le large dès qu’elle sent sa liberté menacée.Avez-vous des points communs avec elle ?Je ne crois pas. Si Annabel pouvait vivre comme une étudiante toute sa vie, elle le ferait. Moi, au contraire, j’adore m’enraciner. Je viens d’acheter un appartement et j’ai très envie de devenir mère un jour. Je n’ai pas besoin de sortir, je bois peu, je ne fréquente pas les fêtes. Je suis plus proche d’une octogénaire que d’Annabel !Combien de temps avez-vous travaillé pour parvenir à jouer de la basse ?J’ai passé un mois à répéter le morceau que je devais jouer dans le film, mais une semaine avant de tourner, Andy a décidé qu’il voulait une autre chanson. J’ai donc dû en apprendre une nouvelle et il a filmé la séquence en s’attardant sur chaque membre du groupe, avant de terminer sur moi. Cinq semaines de boulot pour trois secondes à l’écran !Jusqu’où iriez-vous pour vous immerger dans un rôle ?J’ai toujours peur de franchir la ligne entre le jeu et la vraie vie. Parfois, certains acteurs se perdent. Pour ma part, j’essaie d’éviter tous ceux qui pourraient me marquer de façon durable. Si je veux vivre une existence normale et élever des enfants, je dois préserver ma santé mentale. Mais j’aurais quand même volontiers tourné sous la direction de Stanley Kubrick malgré ce qui est arrivé à Shelley Duvall sur Shining. On voit bien qu’elle ne joue pas. Elle est vraiment terrorisée.Et si Lars von Trier vous sollicitait ?Il est incroyable, j’aimerais bien travailler avec lui un jour, mais je ne le ferai pas sans l’avoir rencontré auparavant. Lui aussi a l’air de mettre ses acteurs à l’épreuve. Je n’ai pas envie d’être torturée sur un plateau.Avez-vous parfois du mal à vous débarrasser de certains personnages ?Ça m’arrive, surtout lorsque je suis amenée à jouer des scènes difficiles ou violentes. Pendant le tournage de Zero Dark Thirty, j’ai dû partir au milieu d’une prise alors que nous tournions l’une des séquences d’interrogatoiretrès dures. On a pris dix minutes de pause et j’ai pleuré. On se lâche comme on peut, en riant ou en pleurant, mais il faut que ça sorte.Ces deux dernières années ont été très importantes pour vous. Quels changements avez-vous observés ?Ça n’a pas vraiment été un bouleversement pour moi car j’ai l’impression de passer ma vie sur les plateaux. C’était déjà le cas avant – je tournais non-stop même si les films ne sortaient pas tout de suite –, mais mon emploi du temps de l’année passée a été particulièrement exigeant, jusqu’à cette pièce que j’ai dû assurer parallèlement à mes engagements au cinéma. J’en suis arrivée à un point où mon corps commence à fatiguer. En revanche, je ne suis pas encore habituée aux paparazzis. Moi qui faisais toujours attention à bien m’habiller, je suis obligée de me camoufler en portant un survêtement et une casquette. Mais le changement le plus intéressant vient de la possibilité qui m’est donnée de bosser avec des gens que j’admire, comme Kathryn Bigelow ou Guillermo del Toro (producteur de Mamá).Aujourd’hui, il doit être difficile pour vous de résister aux pressions. Êtes-vous encore libre de vos décisions ?Il m’arrive de demander conseil, mais je me fie surtout à mon instinct. Lorsque je lis un script, je ne raisonne jamais en termes de carrière. Je me demande plutôt si j’ai déjà fait quelque chose de similaire auparavant, si cette expérience va être enrichissante... Et je suis la seule à pouvoir répondre à ces questions.À quelles propositions donnerez-vous votre préférence ?À celles qui me permettront d’incarner des personnages inédits, atypiques. J’aimerais jouer dans une comédie musicale. Et si je dois faire un western, je veux tenir un pistolet !Êtes-vous désormais en position de refuser un gros film au profit d’un petit qui vous stimule davantage ?Oui, mais le plus dur, c’est de devoir dire non à des projets qui me plaisent vraiment. J’ai dû décliner deux offres pour pouvoir faire Zero Dark Thirty. Et l’an dernier, j’ai tourné six films ! Chaque jour de ma vie est planifié. Mais j’ai besoin de prendre du recul. Il y a longtemps que je ne me suis pas réveillée un matin en me demandant ce que j’allais faire de ma journée...Interview Gérard Delorme         « La beauté et l'horreur peuvent cohabiter », d'après le réalisateur de Mama