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Si l’association proche des milieux catholiques traditionnalistes Promouvoir parvient à faire annuler les visas de ces films, c’est qu’elle a un puissant allié de son côté : la loi.

Le visa d’Antichrist vient donc d’être annulé. Encore. Le film de Lars Von Trier, sorti il y a presque 7 ans dans les salles assorti d’une interdiction aux moins de 16 ans, a mobilisé trois fois la justice administrative. Les deux premières, en 2009 puis 2012, son visa d’exploitation avait été annulé par le Conseil d’Etat pour vice de forme, le juge ayant estimé que l’avis de la commission de classification n’était pas suffisamment motivé. La 3e en revanche, la cour administrative d’appel a estimé que le film comportait "un degré de représentation de la violence et de la sexualité qui exige, au regard des dispositions réglementaires applicables, une interdiction de ce film à tous les mineurs". Une nouvelle victoire de l’association Promouvoir, héraut des "valeurs judéo-chrétiennes" devenue le cauchemar des distributeurs. Et de la ministre de la culture.

Baise-moi, Nymphomaniac, Saw : rencontre avec l'homme qui fait trembler les distributeurs

On pourra toujours crier à la censure. Promouvoir ne fait qu’obtenir des juges qu’ils fassent appliquer la loi. Les "réglementations applicables" auxquelles la décision de la cour se réfère sont celles du Code du cinéma et de l’image animée, qui régit l’exposition des mineurs aux « scènes de sexe non simulées ou de très grande violence ». Réglementation qui ne fait qu’appliquer la loi, qui interdit "la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, d’un message à caractère violent ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur"(article 227-24 du code pénal)". Love ? Quelles que soient ses qualités par ailleurs et quoi qu’on en pense, comporte des scènes de sexe non simulées. Antichrist ? Des scènes de très grande violence (tabassage de pénis, cisaillage de vagin…) qui avaient même ému les journalistes cannois rodés au cinéma extrême et aux gestes provocateurs - l’intention assumée du cinéaste danois. Ces deux œuvres tombent sous le coup de la loi de protection des mineurs. Si on estime qu’ils peuvent être vus par les moins de 18 ans, alors il faut changer la loi.

La commission de classification est traditionnellement bienveillante et soucieuse de la liberté de création artistique. Une interdiction aux mineurs est désastreuse pour la carrière d’un film, non seulement en salles mais à la télé : les chaînes en clair n’ont pas le droit de diffuser des films interdits aux moins de 18 ans, à quelque heure que ce soit. Les cas comme La Vie d’Adèle sont plus délicats car plus subjectifs – ni sexe non simulé ni grande violence, et la question est de savoir s’il faut l’interdire aux moins de 12 ans ou aux moins de 16. En France, Cinquante Nuances de Grey, le "mommy porn" à l’eau de rose, était sorti avec une interdiction aux moins de 12 ans (et encore, il avait frôlé le tous publics) alors que les Etats-Unis, comme presque le reste du monde, avaient été beaucoup plus restrictifs. Mais les avis de la commission, toujours suivis par le ministre, sont fragiles. Et une décision du Conseil d’Etat rendue l’année dernière au sujet de Saw 3D l’a rappelé en annulant son visa (moins de 16 ans) et en estimant que "le ministre de la culture a commis une erreur d’appréciation en interdisant la diffusion du film en cause aux seuls mineurs de seize ans". Raison pour laquelle Fleur Pellerin avait d’abord demandé à la commission un nouvel avis sur Love, initialement déconseillé aux moins de 16 ans, sachant parfaitement qu’un tel visa serait annulé par les juges en raison des scènes de sexe non simulées. Ce fut le cas.

Ce que ces annulations de visas successives, qui sont autant de camouflets pour la ministre de la culture, signifient au fond, c’est que la commission du CNC, et le gouvernement qui suit ses avis, sont souvent plus laxistes que la loi. Et qu’une association conservatrice proche de l’extrême droite, qui bénéficie au passage d’une com monumentale, a le temps et l’envie de poursuivre systématiquement les films possiblement litigieux pour le prouver. La question posée n'est donc pas celle de la censure. Il faut simplement savoir si la loi doit changer.